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sages qui feraient honneur à la plume d’un Channing ou d’un Parker. Lorsque Keshub-Chunder-Sen, et à sa suite Protab-Chunder-Mozoumdar, se firent entendre dans certaines églises unitaires de la Grande-Bretagne, les assistans, à ce que m’a personnellement raconté l’un d’eux, se seraient crus devant un de leurs ministres habituels, légèrement orientalisé dans ses formes et dans ses expressions par un long séjour sur les bords du Gange.

N’y a-t-il pas quelque chose d’étrange et de touchant à la fois dans cette rencontre des deux grands courans religieux qui, partis de l’Asie centrale vers des directions opposées avec les migrations aryennes d’il y a quatre ou cinq mille ans, se retrouvent ainsi, au bout d’une évolution similaire, sur le terrain commun d’une religion synthétique et rationnelle ? — Ce serait une erreur de chercher exclusivement l’explication de ce phénomène dans l’action de la société européenne sur la société hindoue. L’action de ces deux civilisations a été réciproque, et si l’on retrouve dans le brahmaïsme l’équivalent des vues religieuses en faveur parmi les esprits les plus avancés des églises chrétiennes, il serait injuste de méconnaître l’influence qu’a exercée sur ces esprits eux-mêmes la vulgarisation des systèmes philosophiques et religieux dus au génie des peuples orientaux.

Nos pères ne connaissaient, dans toute la littérature religieuse de l’Orient, que les écritures rigoureusement monothéistes des Sémites, — la Bible et le Coran. Tout à coup, là où ils ne soupçonnaient que superstitions incohérentes ou ruines indéchiffrables, la science s’est mise à dégager les conceptions approfondies, méthodiques et parfois sublimes des divers systèmes consignés dans les livres sacrés des brahmanes, des bouddhistes et des guèbres, ainsi que parmi les stèles de l’Égypte et de la Babylonie. Ceux d’entre nous qui, sans préparation aucune, se sont trouvés un beau jour devant les trésors du Zend-Avesta, du Tri-pitaka et surtout des Védas, sont seuls en état de comprendre, par leur propre impression d’étonnement et d’admiration, l’importance des modifications peut-être inconscientes que les travaux des orientalistes ont provoquées dans la constitution intellectuelle et religieuse de notre société. Si nous avons peut-être communiqué aux réformateurs de l’hindouisme le dogme de la transcendance divine qui restitue au Dieu des Védas la conscience et la personnalité supprimées par le panthéisme, l’Inde, à son tour, n’a-t-elle contribué à répandre chez les monothéistes de l’Occident la notion de l’immanence, qui replace Dieu dans la nature ou plutôt la nature en Dieu ? Où se professe encore de nos jours le déisme froid et abstrait du dernier siècle, qui, après avoir supprimé le miracle, ne savait plus que faire de sa divinité,