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inerte et superflue, sans rapports avec la nature, sans liens avec l’humanité ? Et si, dans la plupart des écoles modernes, ce déisme est remplacé par des conceptions plus objectives et plus vivantes, qui rouvrent les sources de l’émotion religieuse, en même temps qu’elles facilitent la réconciliation, non de la science avec la religion, mais de la religion avec la science, n’en sommes-nous pas en partie redevables à cette littérature philosophique de l’Orient que pénètre un si vif sentiment d’une communion intime entre les trois grands facteurs de l’idée religieuse, Dieu, la nature et l’humanité ?

Au moment de quitter l’Europe, Protab-Chunder-Mozoumdar eut un long entretien avec le professeur John Tyndall, qui venait de scandaliser l’Angleterre orthodoxe, au congrès scientifique de Belfast, par une franche profession de scepticisme religieux : « Travaillant dans la froide lumière de la raison, lui dit l’éminent naturaliste, nous manquons ici de la chaleur et de l’énergie que donne la vie religieuse. Cette vie se trouve presque éteinte en Angleterre, et c’est pour l’avoir dit hautement que je suis devenu impopulaire. Ceux qui la conservent peuvent seuls nous la rendre. Aussi est-ce avec un véritable espoir que nous nous tournons vers vous. Une fois déjà la lumière nous est venue de l’Orient. Puisse-t-elle nous en venir encore ! » Nous ne savons s’il faut accepter comme une prophétie ce compliment du savant anglais au réformateur brahmaïste ; mais si l’esprit hindou, dégagé de ses entraves traditionnelles, continue à progresser dans les voies où l’a devancé le génie des peuples occidentaux, il est certain que le monde assistera encore à plus d’un curieux échange sur le terrain des idées religieuses, aussi bien que morales et scientifiques, entre les deux grands rameaux de l’antique race aryenne. C’est de rapprochemens analogues, opérés dans le creuset de la philosophie néo-platonicienne, entre le panthéisme antique et le monothéisme sémite, que le christianisme lui-même est définitivement sorti au IIe siècle de notre ère. On aurait tort de croire que l’étude comparée des religions conduise nécessairement au scepticisme ; car, si elle fait ressortir le caractère local et transitoire des superfétations dogmatiques qui les différencient, elle fortifie notre foi dans les principes qui constituent leur essence permanente et générale, ce fonds commun que le Brahma Dharma proclame « appuyé sur la constitution humaine, ancien, immuable et universel. »


Cte Goblet d’Alviella.