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Puis, quand venait son tour, à sa réplique prête,
Repassait le bébé bien vite à la soubrette.
Quand elle eut quinze mois, quand son corps se tint droit,
Ce fut madame Armand, l’étoile de l’endroit,
Qui la fît marcher seule et qui, de ses mains blanches,
Guida les premiers pas d’Adèle sur les planches.
Mais quel triomphe aussi, quand, un beau jour, soudain,
Elle alla du « côté cour » au « côté jardin ! »
Puis, dès qu’elle se mit à babiller, ces dames
Lui firent répéter des mots de mélodrames,
Et l’enfant, — influence étrange du milieu ! —
Avant : « Papa, maman, » vagit : « Merci, mon Dieu ! »
Pourtant madame Armand, pieuse à sa manière,
Lui fit aussi par cœur apprendre sa prière ;
Et lorsque les acteurs se taisaient un instant,
Un fragment de Pater de derrière un portant
S’envolait, murmuré par une voix plaintive,
Et quelquefois ces mots : Que votre règne arrive ! .
Ou quelque Ainsi soit-il ! ponctuaient tour à tour
La tirade du traître ou la scène d’amour.

C’est ainsi que vivait, depuis sept ans, Adèle,
Heureuse de sentir tant d’amis autour d’elle
Et faite à ce milieu tout artificiel,
N’ayant presque jamais vu la couleur du ciel,
Elle jouait dans l’ombre et, la nuit, était brave
Comme un frais papillon captif dans une cave.


III


Vers ce temps, le théâtre où grandissait l’enfant
Allait très mal. L’été fut par trop étouffant
Et, trois mois, l’on joua devant la salle vide,
Tandis que le public, de bocks mousseux avide,
Dans les cafés-concerts allait prendre le frais ;
Puis un drame à décors ne couvrit pas ses frais,
Puis vint une féerie, autre chute complète.
Le directeur avait si bien perdu la tête
Que, devant son bureau toujours plus encombré
De manuscrits poudreux et de papier timbré,
— Pauvre homme à moitié fou, fable de ses confrères, —
Il songeait à monter des pièces littéraires.
Le malheureux parlait même d’un drame en vers !
Lorsque, le rappelant à des goûts moins pervers,