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Et calmer le souci du père de famille,
En lui jetant tout bas ces mots : « C’est une fille ! »
— D’ailleurs, ce fut un jour de chance et de succès.
Le drame, — il était plein de fautes de français, —
Fit louer deux cents fois la salle, dès la veille ;
Et la mère et l’enfant se portaient à merveille.

Le nouveau-né gênant fort ses humbles auteurs,
Une souscription entre tous les acteurs
Fournit aux pauvres gens des secours provisoires.
Le berceau fut prêté par le chef d’accessoires,
Et le comique, — un fort buveur, de son aveu, —
Donna le biberon, pour faire rire un peu.
Tous aimaient la petite et tous s’occupaient d’elle,
Et l’on tomba d’accord pour l’appeler Adèle,
À cause d’Antony, qu’en son meilleur destin,
Son père avait joué, — très obscur cabotin,
Mais beau garçon, ayant l’œil noir, la taille mince, —
Avec Dorval faisant sa tournée en province.
Puis le baptême eut lieu. La troupe, avec ferveur,
Vit donner à l’enfant ce billet de faveur
Que, pour entrer au ciel, on présente au contrôle ;
Et le parrain, — c’était Saint-Phar, le premier rôle, —
Ayant lu Polyeucte et « pioché » son Credo,
Par son recueillement étonna le bedeau.
La fête fut très bien de toutes les manières.
On alla gentiment déjeuner près d’Asnières ;
À l’heure du spectacle, on revint à Paris,
Au milieu de gamins saluant à grands cris
Ces voitures de gais comédiens chargées,
Et le soir, le pompier lui-même eut des dragées.


II


Les artistes ont très bon cœur, le plus souvent.
C’était à qui prendrait le mieux soin de l’enfant,
— La concierge en sa loge étant très occupée, —
À qui ferait sauter la gentille poupée,
À qui l’entourerait de mille attentions.
Les femmes l’apportaient aux répétitions,
Et la petite Adèle y faisait les délices
Des longs momens d’ennui perdus dans les coulisses.
La duègne, en attendant l’appel du régisseur,
Berçait sur ses deux bras l’enfant avec douceur,