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IV


On mit donc l’Orpheline à l’étude au plus vite,
Et l’on distribua le rôle à la petite,
Après avoir, avec un cachet de dix francs,
Apaisé les légers scrupules des parens,
Qui d’abord alléguaient sa faiblesse et son âge ;
Et l’aisance régna dans le pauvre ménage,
Et la loge lança, dès lors aux environs
Des parfums de civet et de dinde aux marrons.
Pour Adèle, elle était par la joie étourdie.
Un rôle ! elle allait donc jouer la comédie !
Un rôle ! elle pourrait enfin se maquiller !

Quand le vieux régisseur l’eut fait bien travailler,
On répéta. Chacun pressentit la victoire.
La petite « vibrait » comme au Conservatoire,
Disait juste, « écoutait » à merveille, et savait
Avec le moindre mot obtenir un « effet. »
Alors le directeur fit agir la réclame,
Assiégea les journaux, car, bien que son vieux drame
Fût écrit en patois et fût bête à pleurer,
Il était maintenant sûr de tout réparer
Et de combler le gouffre immense de sa dette.
Adèle sur l’affiche eut son nom en vedette
Au-dessus de Saint-Phar et de madame Armand,
Ce qui fut un scandale ; et, depuis ce moment,
L’actrice, qui naguère en faisait son idole,
A l’enfant n’adressa même plus la parole,
Et Saint-Phar, furieux, menaça d’un procès.

Cependant on donna la pièce. Quel succès !
Dès qu’Adèle parut, la salle fut conquise ;
Et vraiment la mignonne actrice était exquise
Et ne ressemblait pas à ces pauvres enfans,
Bâtards de perroquets et de singes savans,
Dont parfois le théâtre exhibe la torture.
En argot de métier, c’était une « nature. »
Elle vivait son rôle et ne le jouait point ;
L’artiste en elle était habile au dernier point,
Et l’enfant conservait cependant tous ses charmes.
Adèle fit répandre une averse de larmes,
Quand, sans pain elle-même, aux pauvres du chemin
Elle donnait les fleurs qu’elle avait à la main.