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Elle eut quatre rappels, vingt bouquets ; et la toile
S’abaissa lentement, sur la petite étoile,
Au milieu des sanglots, des bravos et des cris.
Une altesse royale, en passage, à Paris,
Vint embrasser l’enfant et lui fit grand éloge
Devant dix reporters accourus dans sa loge.
Ce fut une folie, un gros succès d’argent !
Le directeur, traité de « très. intelligent, »
Paya son personnel en retard d’un trimestre,
Congédia la claque et supprima l’orchestre.
Plein d’audace, il risqua des tarifs inouïs.
Son théâtre, autrefois le dernier des bouis-bouis,
Vit devant ses bureaux piaffer les équipages ;
Les journaux l’exaltaient à leurs troisièmes pages,
Épuisant leurs clichés, jusqu’aux « mots » de gamins,
Et parlant du caissier qui se frottait les mains.


V


Hélas ! ne rions pas ; car l’enfant-phénomène
Est au dernier degré de la misère humaine ;
Regardez seulement ses grands yeux moribonds.

Au milieu des bouquets et des sacs de bonbons,
Affolée et vivant comme dans une fête,
Adèle se plaignait pourtant de maux de tête ;
Un frisson secouait parfois son corps nerveux,
Elle portait, d’instinct, la main à ses cheveux
Et disait : « C’est passé ! » Mais l’enfant de la balle,
Un soir, ayant joué sa scène principale,
Effraya les acteurs par son teint enflammé ;
Et l’un d’eux, le fameux comique Bienaimé,
Qu’adorent les titis pour son grand nez qui bouge,
Lui dit :

— Mais pourquoi donc as-tu mis tant de rouge ?



Alors, touchant son front d’un geste, machinal :

— Non, je n’ai pas de fard, fit Adèle. J’ai mal !

Elle joua pourtant, mais la pauvre petite
Fut prise, dans la nuit, par une méningite.

Quel désastre ! On doubla le rôle sans pitié ;
Mais la location en baissa de moitié.