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générale était loin de le prédisposer à devenir le directeur d’une petite pensionnaire de couvent :


… Voici bien longtemps, ma chère Adèle, que je n’ai reçu une de ces petites lettres qui me font tant de plaisir. Est-ce que les distractions, nouvelles pour toi, de la vie de pension te feraient oublier ceux qui t’aiment ? ou craindrais-tu de me confier tes ennuis, si tu en éprouves, ce que je ne puis croire ! À qui donc les dirais-tu, chère enfant, si ce n’est à moi ? Ne serai-je pas toujours heureux de partager tes peines comme tes joies ? Rassure-moi ; j’ai besoin de connaître le détail de ta vie de tous les jours, le genre de tes études et aussi tes impressions bonnes ou mauvaises. Pourquoi ne serais-je pas un peu votre confesseur ? Est-ce l’affection qui me manque ? Dis-moi si tu te sens la volonté de faire des progrès et d’apprendre. Tu as, ma bonne Adèle, beaucoup de choses que Dieu seul donne et qu’on n’enseigne pas — de l’intelligence, de la raison, de la sensibilité ; il faut que tu t’en serves. Il faut que tu te dises tous les jours que tu dois devenir une femme instruite, supérieure à sa position, capable de se créer un avenir, digne en un mot de ton père, qui était une âme grande et élevée. Tu ne dois pas rester une femme ordinaire. La vie qui t’attend au sortir du couvent te tuerait. L’ambition que je cherche à t’inspirer peut seule te sauver, toi et ta mère. Elle n’aura pas toujours les forces qui la soutiennent aujourd’hui. Pour réaliser cette ambition, il n’y a qu’un moyen, c’est le travail ; le travail développe l’âme tout entière. Tout ce qui nous rend meilleurs est un travail. L’insuffisance de mes ressources ne m’a pas permis de te faire donner une éducation aussi brillante que je l’aurais voulu ; mais telle qu’elle est, tu peux, je crois, en retirer encore beaucoup de fruit. Supplée par tes efforts à ce qui peut te manquer. Plus tard nous le compléterons.


L’apparition si impatiemment attendue et si longtemps retardée de son volume sur l’Église et les Philosophes du XVIIIe siècle fut à coup sûr un événement important dans la vie de Lanfrey. Il ne s’exagère pas trop son succès quand il écrit à sa mère qu’il a dépassé toutes ses espérances et que l’ouvrage avait fait sensation dans tout le monde des salons. Dans ce temps de compression et de silence général, c’était une sorte de puissance que l’opinion des salons, car la conversation y avait gardé cette liberté d’allure dont à aucune époque, et même aux plus mauvais jours de son histoire, la société française n’a jamais consenti à se laisser entièrement dépouiller. Les jugemens émis à huis clos par quelques gens d’esprit, mais vite colportés de proche en proche, avaient alors le privilège d’exprimer le plus souvent à l’avance et de préparer ceux du public, tandis que, tenue à plus de prudence, la presse ne