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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/531

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complimens pour sauver sa justice ; car il n’y a point d’autre justice que sa volonté, etc. » (Voir encore la lettre du 21 juin.)

Dans les premiers temps de l’église, lorsque le christianisme, bien que déjà triomphant, avait encore en face de lui, sans parler des Juifs, la foule des païens et que le monde ancien était vaincu, mais non pas détruit, c’était une grande force pour l’église de proclamer l’arrêt de Dieu qui la choisissait et qui réprouvait tout ce qui restait en dehors d’elle. La nature, c’était le paganisme ; la grâce, c’était la foi de Jésus-Christ : Augustin ne pouvait donc trop accabler la nature et trop exalter la grâce. C’est dans un sentiment semblable qu’au XVIe siècle, au réveil de l’esprit païen, les chrétiens zélés se rejetèrent encore vers le dogme de la grâce toute-puissante, et comme effrayés de leur libre arbitre et craignant qu’il n’échappât à la volonté de Dieu, allèrent jusqu’à le perdre dans cette volonté souveraine. Mais on peut dire que, depuis ce temps, la doctrine de la grâce a baissé à mesure que baissait la foi. On n’en parle plus aujourd’hui au grand nombre ; on ne lui cite plus Paul ni Augustin ; car leur esprit va directement en sens contraire de l’esprit moderne, esprit de tolérance et de rapprochement. Le paganisme vieillissant et la foi chrétienne naissante étaient des ennemis irréconciliables ; il fallait que l’un mourût et que l’autre vécût : alors le dogme de la prédestination semblait traduire aux esprits, dans une langue divine, cette nécessité sentie de tous, et leur était ainsi comme accessible. Il ne l’est plus pour l’homme de nos jours, habitué à ne plus voir ni dans le temps, ni dans l’espace, ni dans les idées, ni dans les choses, de barrières infranchissables qui puissent le séparer à jamais de ses semblables, et à considérer comme la fin et l’idéal de l’humanité une communion universelle. Élection gratuite, disgrâce irréparable, partage des sauvés et des réprouvés, ce sont des dogmes auxquels le croyant peut rester soumis dans l’ordre surnaturel, mais qui ne se réfléchissent plus dans les sentimens et dans les actions dont se compose le courant de la vie humaine.


II. — DE LA MORALE JANSENISTE.

La morale du jansénisme est austère, et comme telle, elle est à la fois noble et chagrine : noble, par la pureté et la sainteté à laquelle elle aspire ; chagrine parce que l’honnête homme ne peut guère jeter les yeux autour de lui sans être attristé et irrité par le spectacle de l’injustice.

Ce chagrin s’en prend particulièrement aux puissans, car les puissans sont rarement purs. Ils vérifient l’aphorisme d’Aristote :