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IIIe livre du de Officiis, d’après l’école des stoïques (chap. IV, XII, etc.) Mais il y a une grande différence entre celle des philosophes et celle de l’église.

La première sans doute peut avoir eu ses faiblesses et ses taches. Il a pu arriver qu’un philosophe complaisant ait essayé, pour flatter un maître, de faire passer pour permis ce qui est défendu et d’excuser ce qui est coupable. Un philosophe donc pouvait se laisser corrompre, mais il n’y avait pas grand danger que la philosophie en général fût corrompue. À quoi bon, puisque son autorité, étant purement morale, ne gênait pas après tout ceux qu’elle condamnait et qu’ils étaient libres de n’en tenir aucun compte ? Dans l’église, au contraire, depuis que l’église eut commencé de régner, le confesseur qui refusait l’absolution prononçait une censure dont l’effet était considérable dans l’opinion et qui pouvait avoir au dehors, pour qui en était frappé, les conséquences les plus fâcheuses[1].

Les pénitens avaient donc besoin, au sens propre, de l’indulgence des confesseurs ; mais les confesseurs, de leur côté, s’ils tenaient à conserver la direction des âmes qui leur étaient soumises, avaient à ménager les pénitens et devaient prendre garde de ne pas les rebuter par trop de sévérité, de peur qu’ils n’allassent chercher ailleurs des guides plus faciles. Cela était vrai surtout des grands et des riches, mais même avec les petits il ne fallait pas être trop exigeant, car ils en seraient venus, sinon à ne plus se confesser, du moins à renoncer à toute sincérité dans la confession et à anéantir ainsi la confession elle-même, ce moyen d’action si utile à l’église et qu’elle avait tant d’intérêt a conserver. De là une tentation bien forte pour la casuistique de subordonner la règle aux pécheurs, au lieu de soumettre ceux-ci à la règle. C’est par là qu’elle a soulevé les indignations des purs et scandalisé même les profanes.

Les jésuites étaient parmi les directeurs, non-seulement les plus accrédités et les plus habiles, mais aussi les moins scrupuleux, par la raison qu’ils avaient été institués tout exprès au XVIe siècle, à la suite de la réforme, pour rendre à l’église la domination qui lui échappait. Que l’église régnât par eux et en eux, c’était là leur fin suprême. Aussi est-ce en eux surtout que la casuistique fut attaquée. Plusieurs de leurs livres avaient déjà amené des

  1. Cela n’a été nulle part plus vrai qu’en Espagne. « Or cette facilité semble nécessaire dans les pays d’inquisition, où le pécheur d’habitude qui ne veut pas se corriger n’ose toutefois manquer au devoir pascal, de peur d’être dénoncé, excommunié, et au bout de l’an déclaré suspect d’hérésie, et comme tel poursuivi en justice : aussi est-ce dans ces pays là qu’ont vécu les casuistes les plus relâchés. » (Fleury, Discours sur l’histoire ecclésiastique, 8e discours, n° XV.)