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pas un doute. Il se pourrait cependant qu’il n’eût pas toujours su faire ce qu’il a voulu, et que, surpris par l’esprit de parti, il eût mal vu ce qu’il voyait ou cru voir ce qu’il ne voyait pas. Mais pour peu qu’on y réfléchisse, on reconnaîtra que cela même n’a pas dû être. Si on considère en effet que la compagnie de Jésus, à qui s’attaquait Pascal, avait à son service une armée d’hommes parfaitement dressés à lire et à contrôler des textes, il est clair qu’il ne pouvait pas espérer que la moindre inexactitude qui lui serait échappée ne fût relevée aussitôt et qu’on n’en fît très grand bruit. Lui et Port-Royal avaient donc le plus grand intérêt à s’en garder, quand par eux-mêmes ils ne s’en seraient pas fait scrupule. Voilà une présomption très forte, mais un ouvrage qui a paru il y a une trentaine d’années a donné une confirmation éclatante à cette présomption.

M. l’abbé Maynard, qui, en 1850, avait publié un ouvrage intitulé : Pascal, sa vie et son caractère, ses écrits et son génie, 2 vol. in-8o (librairie Dezobry) publia l’année suivante (librairie Didot), ce qu’on peut appeler une édition jésuite des Provinciales, où les terribles Lettres sont commentées et réfutées page à page, et où il s’applique à ne rien laisser échapper des torts que peut avoir eus Pascal. Et il avait à sa disposition, pour lui faciliter ce travail, les réponses que les jésuites avaient essayé de faire aux Provinciales depuis l’origine. Or, s’il prétend presque partout, comme on pouvait s’y attendre, que Pascal a mal interprété les textes qu’il produit, il n’avance presque jamais qu’il les ait altérés matériellement, et s’il le dit une ou deux fois, il ne me paraît pas qu’il le prouve.

Sainte-Beuve, si curieux et si fureteur, n’a pu cependant que reconnaître la sincérité et l’exactitude de Pascal, et il l’a fait nettement (t. III, p. 60.) Il a cru pourtant, d’après les jésuites, l’avoir pris une fois en faute, et on va voir quelle est cette faute. Il s’agit de ce passage de la 5e Provinciale : « Voyez, dit-il, encore ce trait de Filiutius… Celui qui s’est fatigué à quelque chose, comme à poursuivre une fille, est-il obligé de jeûner ! Nullement. Mais s’il s’est fatigué exprès pour être par là dispensé du jeûne, y sera-t-il tenu ? Encore qu’il ait eu ce dessein formé, il n’y sera point obligé. » Voici le texte de Filiutius :

« Tu demanderas ensuite si celui qui se fatiguerait à mauvaise fin, comme à poursuivre une fille ou à quelque chose de semblable, serait tenu au jeûne. Je réponds qu’il pécherait, à cause de la mauvaise fin, mais qu’ayant abouti à être épuisé de fatigue, il serait excusé du jeûne. Médina, dans son (ou ses) Inst., fait cette réserve : à moins qu’il n’ait agi ainsi pour frauder la loi. Mais d’autres concluent mieux en disant qu’il y a faute à s’être donné