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refaisant les Provinciales, elle ne se le figurera pas autrement que les faisant, comme il l’a dit, encore plus fortes, et ce sera là ma conclusion[1].

Parmi les critiques qu’on a faites de la polémique des Provinciales, il n’y en a qu’une qui me semble juste : c’est que cette polémique était un danger pour l’église elle-même. Mais je ne crois pas que cette objection ait été faite au temps où parurent les Provinciales, car personne alors ne prévoyait ce danger. Il est vrai, et cela est curieux, que les jésuites reprochèrent alors à Pascal de parler comme un protestant ; ils dirent que les griefs de Port-Royal contre les casuistes étaient les mêmes que les calvinistes avaient allégués les premiers en attaquant l’église catholique. Et dans le recueil de leurs Réponses aux Lettres provinciales[2], on lit, à la page 67, un morceau intitulé : « Sur la conformité des reproches et des calomnies que les jansénistes publient contre les pères de la compagnie de Jésus avec celles que le ministre Du Moulin a publiées -levant eux contre l’église romaine, dans son livre des Traditions, imprimé à Genève en l’année 1632. » Il est naturel, d’une part, que les protestans, qui attaquaient l’église, en aient dénoncé les

  1. Je reproduirai ici in extenso le témoignage de Marguerite Perier. (Faugère, Pensées de Pascal, tome I, page 367, 1844.)
    « Récit de ce que j’ai oui dire par M. Pascal, mon oncle, non pas à moi, mais à des personnes de ses amis en ma présence. J’avais alors seize ans et demi. — (Elle avait exactement, au moment de la mort de Pascal, seize ans quatre mois et demi.)
    « 1° On me demande si je ne me repens pas d’avoir fait les Provinciales. Je réponds que, bion loin de m’en repentir, si j’avais à les faire présentement, je les ferais encore plus fortes.
    « 2° On me demande pourquoi j’ai nommé les noms des auteurs où j’ai pris toutes les propositions abominables que j’y ai citées. Je réponds que, si j’étais dans une ville où il y eût douze fontaines, et que je susse certainement qu’il y en a une qui est empoisonnée, je serais obligé d’avertir tout le monde de n’aller point puiser de l’eau à cette fontaine, et comme on pourrait croire que c’est une pure imagination de ma part, je serais obligé de nommer celui qui l’a empoisonnée, plutôt que d’exposer toute une ville à s’empoisonner.
    « 3° On me demande pourquoi j’ai employé un style agréable, railleur et divertissant. Je réponds que, si j’avais écrit d’un style dogmatique, il n’y aurait eu que les savans qui l’auraient lu, et ceux-là n’en avaient pas besoin, en sachant autant que moi là-dessus. Ainsi j’ai cru qu’il fallait écrire d’une manière propre à faire lire mes Lettres par les femmes et les gens du monde, afin qu’ils connussent le danger de toutes ces maximes et de toutes ces propositions, qui se répandaient alors partout, et auxquelles on se laissait facilement persuader.
    « 4° On me demande si j’ai lu moi-même tous les livres que j’ai cités. Je réponds que non : certainement il aurait fallu que j’eusse passé ma vie à lire de très mauvais livres ; mais j’ai lu deux fois Escobar tout entier, et pour les autres, je les ai fait lire par de mes amis ; mais je n’en ai pas employé un seul passage sans l’avoir lu moi-même dans le livre cité et sans avoir examiné la matière sur laquelle il est avancé, sans avoir lu ce qui précède et ce qui suit, pour ne point hasarder de citer une objection pour une réponse, ce qui aurait été reprochable et injuste. »
  2. Réponses aux Lettres provinciales, etc. Liège, 1658.