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scandales, et de l’autre, que Port-Royal, dont l’esprit peut se définir par cette formule : « la réforme dans l’orthodoxie, » se soit indigné, en proportion même de son zèle pour la foi catholique, contre ce qui donnait tant de prises aux ennemis de cette foi. Les jésuites avaient beau jeu à montrer qu’en morale comme en théologie ils avaient également contre eux calvinistes et jansénistes ; ils ne pouvaient pas, pour cela, faire méconnaître les vrais sentimens de Port-Royal, qui en réalité détestait à la fois et du même cœur les jésuites et les protestans[1]. Les jésuites, aujourd’hui, ne reprochent pas tant à Pascal d’avoir continué les protestans que d’avoir montré le chemin aux incrédules ; mais nous ne trouvons pas cette plainte dans le recueil de leurs Réponses. Ce qui en approche le plus est un passage de leur préface (page 16), où, se plaignant qu’il raille et qu’il fasse rire, car c’est là ce qu’il y avait de plus terrible pour eux, du moins jusqu’à l’éloquence de la 14e Provinciale et des suivantes, ils disent que ces railleries ou bouffonneries, comme ils les appellent, quoiqu’il n’y ait rien de moins bouffon que Pascal, sont le procédé des hérétiques, des impies et des blasphémateurs. Mais ce n’est qu’un mot en passant, et ni eux, ni Pascal, ni personne ne se doutait alors que cette ironie laïque[2], qui se licenciait avec tant de succès aux dépens d’Escobar et des pères jésuites, ne tarderait pas à atteindre beaucoup plus loin, et que c’est l’église elle-même qui serait grièvement blessée par cette artillerie dont Pascal avait le premier joué si bien. Lerminier a résumé cela en ces termes : « Pascal a préparé les voies ; Voltaire peut venir[3]. » Lerminier parlait en général, mais cela est vrai quelquefois dans le détail même. Voici un passage de la 16e Provinciale : « Qu’il est digne de ces défenseurs d’un si grand et si adorable sacrifice d’environner la table de Jésus-Christ de pécheurs envieillis tout sortans de leurs infamies, et de placer au milieu d’eux un prêtre que son confesseur même envoie de ses impudicités à l’autel[4] pour y offrir, en la place de Jésus-Christ, cette victime toute sainte au Dieu de sainteté, et la porter de ses mains souillées dans ces bouches toutes souillées ! » En voici un maintenant, pris dans le Dîner du comte de Boulainvilliers, IIe entretien : « Un gueux, qu’on aura fait prêtre, un moine sortant des bras d’une prostituée

  1. Avant qu’un tel dessein m’entre dans la pensée,
    On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée,
    Arnauld à Charenton devenir huguenot, etc.
    (Boileau, I, Sat.)
  2. Page 52 « un homme lay ; » page 278 « un homme laïque. »
  3. L’abbé Maynard, les Provinciales, 1851, tome Ier, page 62.
  4. Allusion à une décision scandaleuse du P. Bauny. Voir la 6e Provinciale.