Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La France ne trouve alors la paix que dans l’obéissance ; mais dans cette paix elle se recueille, st sous l’influence de la grande littérature du siècle précédent, elle prépare, conduite par Descartes, l’émancipation du siècle suivant. Pascal se place au premier rang parmi ces préparateurs de l’avenir. L’auteur des Provinciales est bien le même qui a écrit dans les Pensées : « La raison nous commande bien plus impérieusement qu’un maître ; car en désobéissant à l’un, on est malheureux, et en désobéissant à l’autre, on est un sot. » Quand il mêle à cette ferme raison des illusions et des chimères théologiques, nous les lui pardonnons parce qu’il est malade et surtout parce qu’elles tiennent chez lui aux sentimens les plus élevés. Si le jansénisme a été une secte, c’était celle des âmes les plus ardentes et les plus saintes, de ceux, comme dit l’Écriture, qui n’ont pas fléchi devant Baal (I Rois, XIX, 18), qui se sont opiniâtres à rêver et qui rêvent peut-être encore à l’heure qu’il est une église intelligente et généreuse, et la France, qui depuis longtemps a renoncé à les suivre, n’a pas cessé de les respecter. Voilà les principes qui ont mis dans l’éloquence des Provinciales une vertu que le temps n’use pas et qui s’y sent toujours.

On écrivait dernièrement, en relevant ce qu’on appelait les qualités juridiques de Pascal dans les Provinciales ? « C’est un avocat, à qui Port-Royal a remis un dossier, qui le dépouille et le débrouille, a la riposte vive, plaide clairement et discute serré. » Cela est spirituellement dit, pourvu qu’on ajoute que cet avocat est d’une espèce fort rare, aussi convaincu et aussi touché que ses cliens, ou plutôt les dépassant de beaucoup pour l’énergie de sa conviction, l’ardeur de sa passion, la sincérité et la conscience de toutes ses démarches, de sorte qu’ils ne le suivront pas jusqu’au bout dans son zèle pour la cause qu’il a plaidée. Il ne faut pas oublier que la pièce fameuse publiée par Condorcet, que Pascal portait constamment dans la doublure de son habit, ce mémento d’une vision qui l’avait précipité dans l’amour de Dieu, est antérieur de plus d’un an aux Provinciales. L’éloquence puisée à de telles sources n’est pas ce qu’on entend d’ordinaire par une éloquence d’avocat.

Sainte-Beuve s’est plaint que la grâce y manque, au sens profane, bien entendu, au sens grec[1] ; mais en vérité, qu’aurait à faire la grâce dans cette défense énergique de la dignité humaine ? Alceste non plus, dans Molière, n’a pas la grâce : pour ceux qui livrent de tels combats, le grâce suprême est la vigueur, et celle-là, tout le monde l’y a reconnue. Cependant Joseph de Maistre a écrit : « Aucun homme de goût ne saurait nier que les Provinciales ne soient un fort joli libelle[2]. » Quand on songe que, sous le

  1. Port-Royal, tome III, page 55.
  2. De l’Église gallicane, livre Ier, chap. IX.