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poids de ce libelle, les jésuites gisent écrasés, on s’étonne qu’il se soit donné le ridicule de parler ainsi, sans s’apercevoir qu’il refaisait un vers de Boileau :

A mon gré le Pascal est joli quelquefois[1] !


Mais il y a certaines gageures que les plus brillans esprits ne peuvent soutenir sans s’exposer à dire des sottises.

On ne trouve pas dans les Provinciales ce haut vol de l’imagination qui nous emporte dans les Pensées : mais M. Janet a fait récemment le parallèle des Provinciales et des Pensées de manière qu’on ne pense pas à le refaire après lui. Je n’y ajouterai que cette remarque, que les deux monumens sont venus dans leur ordre naturel. Pour s’élever jusqu’à la grandeur et à la hardiesse des Pensées, il fallait que Pascal eût fait reconnaître sa force, et que lui-même il en eût une pleine conscience. C’est la puissance qu’il a exercée dans les Provinciales qui lui a ouvert les profondeurs de son génie. Après son éclatante victoire, et quand il en eut fini avec ses adversaires, il n’y avait de lutte digne de lui que celle de Jacob, luttant dans la nuit contre les apparitions d’en haut. C’est alors qu’il pousse ces grands cris : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie, » et qu’il plonge avec une passion avide dans l’abîme de la nature, dans celui de la mort, dans celui du doute. Mais il s’était d’abord glorieusement acquitté des tâches de la vie, et de son devoir de chrétien et d’honnête homme. Il avait commencé par un travail d’Hercule, celui de nettoyer les écuries d’Augias.

Dans l’histoire des Provinciales, il ne faut pas oublier qu’elles ont un jour inspiré Racine, qui avait tout l’esprit qu’il fallait pour profiter des leçons de Pascal. On vit ce jour-là un disciple de Port-Royal tourner contre Port-Royal la verve et l’ironie qui dix ans plus tôt avaient si bien servi la sainte maison. Nicole, dans une polémique théologique contre un adversaire qui se trouvait avoir fait des pièces de théâtre, s’était emporté à une invective contre les poètes de théâtre, qu’il traitait d’empoisonneurs publics et de gens horribles parmi les chrétiens. Le jeune Racine, qui n’était pas en cause, avec l’irritabilité des poètes, une irritabilité toute féminine, se sentit d’autant plus blessé que sa conscience délicate n’était peut-être pas bien tranquille ; et puis il n’était pas encore entré dans la gloire, car cela se passait avant l’éclat d’Andromaque. Il prit la plume de Pascal ; il n’avait plus à craindre de trouver en face de lui Pascal lui-même, qui était mort depuis quatre ans, et

  1. Le personnage de Boileau disait : le Corneille. (Sat. III, vers 183.)