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Rostovtsef s’abandonnait tour à tour aux influences opposées. N’ayant ni assez de connaissances ni assez d’énergie pour dominer les partis qui s’agitaient autour de lui, le pauvre général devait être la première victime de leurs luttes et mourir au bout d’un an avant d’avoir terminé sa tâche.

Grâce à l’incompétence et à l’indécision du général, Milutine eut une grande part au choix du personnel de la Commission de rédaction qui, sous un nom modeste, était chargée d’une œuvre énorme. Elle avait en effet non-seulement à rompre le lien séculaire du servage, mais à trancher les plus délicates questions de propriété, et en même temps à élaborer pour les campagnes du vaste empire, encore presque tout rural, un nouveau système d’administration, de police, de justice. Jamais peut-être en Europe aucune chambre législative n’a eu devant elle une besogne aussi ardue. Les séances de cette commission, divisée d’ordinaire en sous-commissions, se passèrent bientôt sans cérémonial. On laissa de côté l’uniforme et l’étiquette pour discuter à l’aise en prenant le thé, le cigare ou le papyros aux lèvres.

L’assemblée était peu nombreuse, comme il convient pour un travail sérieux, vingt ou vingt-cinq membres en tout. Selon les projets mêmes de Milutine, elle était composée de deux classes de personnes différentes, de tchinovniks et de propriétaires ruraux. Les premiers étaient de hauts fonctionnaires des divers ministères, tels que Milutine lui-même, qui, naturellement, était le premier représentant du ministère de l’intérieur. Les propriétaires ou experts avaient été choisis parmi la minorité libérale des comités provinciaux de la noblesse, et non élus par ces comités qui, malgré les réclamations de certains de leurs membres, n’obtinrent que le droit d’envoyer des délégués déposer devant la commission centrale. La plupart des propriétaires appelés à siéger dans cette commission, les Tcherkaski, les Samarine, les Galagane, les Tarnovski, les Galitsyne, les Tatarinof, avaient été désignés à Rostovtsef par Milutine. Ils formèrent le noyau du groupe qui soutint le ministère de l’intérieur dans sa lutte avec une majorité fréquemment hostile, et parfois appuyée par le président lui-même. Chose à noter, en effet, dans cette assemblée, où par le nombre et l’influence prévalait l’élément bureaucratique, Milutine, si souvent représenté comme l’incarnation des instincts niveleurs du tchinovnisme, trouvait son plus ferme et son plus constant appui dans le groupe des propriétaires.

Sauf un, ces auxiliaires, venus de tous les coins de l’empire, étaient personnellement inconnus de Milutine au moment où, sur leur attitude dans les comités provinciaux, il les faisait agréer du général Rostovtsef. Le seul avec lequel il fût en relation était G.