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siècles, ont élevé une digue entre les deux pays, non pour seconder l’œuvre de la nature, mais pour la combattre et la violenter. Pendant longtemps cette digue a défié les efforts de tous ceux qui tentaient de l’ébranler, mais enfin elle a cédé. Elle ne forme plus aujourd’hui qu’un isthme peu élevé, qui sépare deux mers amies. Les eaux se rapprochent de jour en jour et cherchent à se réunir. Voulons-nous relever cette digue aujourd’hui presque en ruines ? Voulons-nous la laisser s’effondrer par l’action du temps ou par un accident, événement qui arrivera tôt ou tard, mais qui ne nous vaudra pas la moindre gratitude ? Ou bien voulons-nous, quand il en est temps encore, percer l’isthme, ouvrir un libre passage aux deux mers et faire flotter, sur leurs eaux désormais confondues, l’arche d’alliance de notre commune constitution ? »

La chambre éclata en applaudissemens. La deuxième lecture fut votée par 254 voix contre 243, la troisième par 216 voix contre 197. Les partisans de l’émancipation gagnaient donc du terrain à chaque discussion. La majorité, qui n’était que de 6 voix au début, avait fini par atteindre le chiffre de 19 voix. Cependant la partie n’était pas gagnée. La chambre des lords restait hostile à l’émancipation des catholiques. Peut-être aurait-elle cédé si le ministère avait pris en main la cause de la liberté religieuse. Malheureusement les ministres qui faisaient partie de la chambre haute, lord Liverpool, lord El don, lord Sidmouth, partageaient à cet égard les préjugés qui dominaient dans la pairie. Plus malheureusement encore l’un des frères du roi, le duc d’York, devenu l’héritier présomptif du trône depuis la mort de la princesse Charlotte, en 1817, vint apporter au parti protestant l’appui de son influence, de son vote et de sa parole : « Je suis profondément convaincu, dit-il dans le discours qu’il prononça à cette occasion, des dangers que présente la mesure proposée ; mon hostilité contre elle se fonde sur des principes que j’ai embrassés depuis le jour où j’ai été en état de penser par moi-même, et auxquels j’espère rester attaché jusqu’au dernier jour de ma vie. » Une déclaration si vigoureuse raffermit le courage des partisans de l’intolérance. Le Relief-Bill fut rejeté par 159 voix contre 120.

Ce vote mémorable, qui ajourna de sept années le triomphe des partisans de la liberté religieuse, fut suivi d’un remaniement important dans le cabinet et dans l’administration. Le ministère de lord Liverpool comptait déjà dix ans d’existence. Il disposait encore de la majorité dans les deux chambres. Cette majorité toutefois avait été affaiblie par les élections générales de 1818 et de 1820. Le parti whig, dirigé par lord Grey dans la chambre haute, et par lord Althorp dans la chambre basse, formait un bataillon compact, qu’il était impossible de songer à entamer et qui avait des chances