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Si les troubles matériels avaient cessé en Irlande, l’agitation morale y renaissait a chaque occasion. Depuis la fin du XVIIIe siècle, les protestans de Dublin avaient pris l’habitude de célébrer tous les ans l’anniversaire de la fameuse bataille de la Boyne, qui avait rendu définitive la conquête de l’Irlande par l’Angleterre et la prédominance de la religion protestante sur le catholicisme. Le 4 novembre de chaque année, ils se rendaient processionnellement auprès de la statue de Guillaume III, à College-Green, ils la décoraient de rubans couleur orange et prononçaient des discours qui ne pouvaient que surexciter leurs propres passions et celles de leurs adversaires. Wellesley pensait avec raison que des manifestations de ce genre présentaient plus d’inconvéniens que d’avantages. Il décida le lord-maire de Dublin à interdire la fête du 4 novembre. Le parti protestant fut indigné. Il prit sa revanche en faisant émettre par la corporation de Dublin, c’est-à-dire par les électeurs municipaux, un vote de blâme contre le lord-maire. Il est bon de noter qu’en vertu des lois existantes la corporation de Dublin, comme celles de toutes les autres villes du royaume-uni, était exclusivement composée de protestans. Quelques jours après cet incident, Wellesley fut l’objet d’une autre manifestation dirigée personnellement contre lui. C’était le 14 décembre. Il était au théâtre, dans sa loge. La grande majorité des spectateurs appartenait au parti protestant. Le vice-roi fut sifflé. Une bouteille fut lancée dans sa loge. La représentation fut interrompue. La police fut obligée de pénétrer dans la salle et d’arrêter un certain nombre de perturbateurs. Welleslley n’était pas d’un caractère endurant. Il avait gouverné l’Inde en souverain absolu. L’opposition l’irritait et les offenses l’exaspéraient. Dans cette circonstance, il perdit toute mesure. Au lieu de réclamer contre les perturbateurs une légère condamnation que tout le monde aurait approuvée, il les fit traduire devant le jury sous l’inculpation d’attentat contre sa vie. Plunkett soutint l’accusation avec son habileté ordinaire. La défense, de son côté, composée de quinze avocats choisis parmi les sommités du barreau, lutta avec acharnement. L’audition des témoins et les débats du procès se poursuivirent pendant cinq jours au milieu d’une affluence énorme de spectateurs, L’excitation était à son comble. Protestans et cathodiques étaient là en face les uns des autres, comme sur un champ de bataille. Enfin le cinquième jour, à quatre heures du soir, les jurés entrèrent dans la salle des délibérations. A neuf heures, ils déclaraient qu’ils n’avaient pas pu se mettre d’accord. Le lendemain, à dix heures du matin, la situation n’avait pas changé ; à trois heures de l’après-midi, on en était encore au même point. Plunkett comprit que la partie était perdue et qu’il n’obtiendrait jamais un verdict de culpabilité. Il abandonna l’accusation. C’était