Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prêtres surtout, si influens en Irlande, il donna aux petits propriétaires le courage de se révolter contre les landlords. L’élection de Waterford fut le premier essai de son pouvoir. Les classes inférieures votèrent en masse pour un candidat protestant, mais recommandé par l’association catholique et acquis à la cause de la liberté religieuse. Lord George Beresford, qui se regardait comme député par droit de naissance, cessa de représenter Waterford.

Enhardi par ce succès, O’Connell osa davantage. En 1828, un Anglo-Irlandais, Vesey Fitzgerald, ayant accepté dans le cabinet de Wellington le poste de président du bureau de commerce, en remplacement d’Huskisson, se trouva soumis à la réélection dans le comté de Clare. O’Connell résolut de faire nommer contre lui un catholique. L’élection serait annulée. Peu importait à O’Connell. Ce qu’il cherchait, c’était un grand effet moral, une manifestation retentissante en faveur de la liberté religieuse. La tentative pouvait paraître téméraire. Le comté de Clare était un de ceux où les protestans étaient en nombre ; Fitzgerald était considéré et même populaire ; on le savait personnellement favorable aux réclamations des catholiques. Il avait donc bien des chances pour lui. Un seul homme pouvait battre Fitzgerald : c’était O’Connell lui-même. Il posa sa candidature. Ce n’étaient plus seulement deux hommes qui se trouvaient en présence : c’était le gouvernement anglais dans la personne de ses membres et l’association catholique représentée par son chef. Personne ne se méprenait sur l’importance de la partie engagée. La lutte fut chaude. À cette époque, le vote était public. Il en résultait une grande animation dans les opérations électorales. Pendant cinq jours, on vit les électeurs à 40 shillings se rendre à Ennis, chef-lieu du comté, enrégimentés par paroisses, avec leurs curés en tête ; pendant cinq jours, on vit s’aligner en colonnes serrées, sur le poll-book, les votes favorables à O’Connell. A la fin du cinquième jour, Fitzgerald abandonnait la partie.

Le gouvernement était battu, et la défaite était décisive. Ce que n’avaient pu obtenir ni l’autorité de Pitt, ni la persévérance de Grattan, ni l’éloquence de Canning, les électeurs à 40 shillings l’avaient enlevé de haute lutte et emporté d’assaut. Désormais il dépendait d’O’Connell, dans une élection générale, de faire nommer quarante catholiques ou de se faire nommer quarante fois lui-même. Un gouvernement sensé ne s’expose pas sans une absolue nécessité à des manifestations de ce genre. Robert Peel le comprit, et dès lors son parti fut pris. Jusqu’à l’ouverture de la session de 1829, il ne s’occupa que de préparer ses collègues et le roi lui-même à une concession devenue indispensable. Le vieux parti protestant se refusa tout d’abord à croire que Peel l’orangiste, Peel l’ancien secrétaire en chef pour l’Irlande, Peel qui s’était séparé de Canning en