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Lanfrey fût toujours d’accord avec les écrivains qui, dans le Siècle ou les Débats, prenaient sous leur protection, avec un égal enthousiasme, l’unité de l’Italie et celle de l’Allemagne. Lié dès les premiers instans de son séjour à Paris avec le sage patriote italien Manin, qui l’avait nommé l’un de ses exécuteurs testamentaires, et grand admirateur de Cavour, il avait été heureux de s’associer à ses amis, MM. Henri Martin, Ferdinand de Lasteyrie et Legouvé, soit pour rendre hommage à l’illustre défenseur de Venise, soit pour souhaiter d’heureuses destinées à la jeune monarchie qui se fondait de l’autre côté des Alpes sous les auspices du ministre très conservateur d’un prince parfaitement constitutionnel. Cependant il est loin d’approuver tous les moyens employés pour venir en aide aux opprimés d’Italie que, dans une de ses lettres, il appelle ses frères, « honteux, ajoute-t-il, » que sa mauvaise fortune ne lui ait jamais permis de verser pour eux autre chose que de l’encre[1]. » La paix de Villafranca lui causa un tel désappointement que dans un accès d’indignation, avec cette rudesse de langage qui lui était trop habituelle et que nous serons plus d’une fois obligé de reproduire sans accepter la responsabilité de ses trop violentes appréciations, il écrivait à l’une de ses correspondantes, amie comme lui de Manin : « Il faut avoir ce dilettantisme de lâcheté qu’on possède au journal des Débats pour se réjouir en présence des douleurs et des déceptions de tant de nobles cœurs. » Il se console un peu toutefois en pensant « que les Italiens auront au moins acquis un noyau de résistance qui leur permettra de recommencer bientôt l’entreprise. Ils auront appris à ne plus compter que sur eux-mêmes, et l’idée de l’unité nationale ne pourra faire que de grands progrès en présence de l’impuissance des nouvelles combinaisons. Quelque regrettables que soient leurs mécomptes, il y aurait eu de grands inconvéniens à ce que leur libération s’accomplît par des mains étrangères et trop vite. Les peuples ne tiennent qu’à ce qu’ils ont payé très cher[2]. »

On pressent, d’après ces derniers mots, que la façon dont s’accomplit finalement l’unité de l’Italie par la victoire des Prussiens à Sadowa n’ait pas donné grande satisfaction à Lanfrey. Jamais il ne consentit à considérer comme un triomphe pour la France la cession solennelle de la Vénétie à Napoléon III, afin qu’il en fît, à son tour, cadeau, avec non moins d’apparat, au souverain du Piémont. A ses yeux, cette vaine comédie dans laquelle la presse opposante acceptait trop complaisamment de jouer son rôle, et que la niaiserie parisienne avait eu l’enfantillage de fêter à grand renfort

  1. Lettre à Mme Plunat de Faye, 30 janvier 1861.
  2. Lettre à Mme X…, août 1860.