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qu’en Espagne tout député accepte sa nomination des mains du ministre de l’intérieur, — par sa connaissance approfondie de la doctrine constitutionnelle, par l’attention soutenue qu’il a prêtée depuis plus de vingt ans à la marche des événemens et des idées en Europe, par l’expérience des choses que lui ont acquise ses grands travaux d’agriculture, M. de Riscal, mieux que tout autre, était préparé à cette tâche difficile et délicate. En quelques pages, il a su tracer des misères et des besoins de l’Espagne un tableau saisissant où l’abondance et la précision des détails, la sûreté des jugemens, n’ont d’égal que l’accent de sincérité dont il est écrit. Les faits y sont racontés simplement et toujours appuyés sur des preuves, les hommes et leurs actes impartialement jugés, sans violence comme sans faiblesse. Rien qui dénote les préoccupations d’un homme de parti : point de passion ni de rancune ; mais, tout au contraire, la conviction sincère d’une âme honnête et d’un esprit droit qui met le bien de la patrie au-dessus des intérêts privés de tous les partis.

Tout d’abord l’auteur tient à justifier son titre, Féodalité et Démocratie, et, dans un court préambule, il explique ce qu’il entend par le rapprochement de ces deux mots opposés. A ne considérer que les apparences, l’Espagne serait un état régulièrement constitué à la moderne, constitutionnel, parlementaire ; mais pour peu d’attention qu’on y prête, on est tout surpris de voir que, sous cet aspect trompeur, se cache une réalité renouvelée du moyen âge. Sans doute, il y a des différences : ainsi les grands feudataires se perpétuaient alors par droit héréditaire, et aujourd’hui les chefs de parti s’improvisent. Le territoire était alors divisé, tandis qu’aujourd’hui la division se pratique sous forme de possession successive d’un pouvoir centralisé. Cela vient de ce que la nouvelle oligarchie se trouve greffée sur une démocratie, et l’on réunit ainsi les inconvéniens des deux pires formes de gouvernement. Les intérêts généraux sont sacrifiés à l’ambition et à l’orgueil de quelques-uns : couronne et peuple sont annulés. Les gouvernans ne se croient point les serviteurs du pays, mais ses maîtres ; ils ne reçoivent pas le pouvoir de la volonté de la nation, mais de la force : idées et pratiques purement féodales. Leurs luttes ne sont pas moins fréquentes ni moins acharnées. Aujourd’hui, comme dans Ces temps lointains, ils désolent et déchirent le pays.

Grâce au despotisme inauguré par le cardinal Ximenez et l’empereur Charles-Quint, et qui, érigé plus tard par Philippe II en système complet de gouvernement, — le plus ingénieux et le plus dur qui ait jamais étouffé la liberté et la conscience humaines, — devait, une fois établi, durer plus de deux siècles encore, les