Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/761

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politiques du jour ont trouvé le terrain admirablement préparé pour jouir à leur aise du pouvoir dont ils héritaient. De là leur domination incontestée, qui, du plus grand au plus petit, s’étend à tous les individus de la hiérarchie administrative. De même qu’au moyen âge, le moindre soudard au service d’un petit vassal protégé par un grand méprisait et violentait le vilain, ainsi le dernier employé ou manipulateur d’élections méprise et opprime quiconque n’occupe pas un poste dans un parti politique.


I

La sécurité des personnes et des biens, cette condition première de toute société à peine organisée, existentielle en Espagne ? Il est permis d’en douter. D’un bout à l’autre de l’Andalousie, les bandits abondent et exercent ouvertement leur métier. Tel jour, un vieillard, don José Orellana, est arraché de sa maison de ville par les brigands déguisés en gendarmes et ne recouvre sa liberté qu’au bout d’un mois de souffrances, après avoir payé une forte rançon. Une autre fois, deux Anglais, MM. Bonnell, sont arrêtés en vue de Gibraltar ; tandis que l’un d’eux va négocier la somme exigée, 150,000 francs, l’autre est retenu en otage, puis relâché dans les rues d’une grande ville, Jerez, après que la rançon a été perçue tranquillement par les bandits en plein Cadix, ville forte et plus considérable encore. Du reste, à Madrid même, on n’est pas à l’abri d’une pareille aventure ; dans la rue la plus belle et la plus fréquentée de la ville, un membre du sénat fut, au commencement de 1878, séquestré dans sa chambre à coucher et menacé de mort ; il dut payer, lui aussi, une somme importante. Qu’on ajoute encore les soulèvemens de bandes si fréquens en Catalogne, les exploits des braconniers des montagnes de Tolède, les diligences et les trains mêmes arrêtés et pillés dans la Manche et ailleurs, cela suffit pour donner une idée juste de la sécurité des personnes. Quant à la sécurité des biens, pour peu qu’on se rappelle la proportion habituelle en tout pays entre les vols et les attentats contre les personnes, il est facile de juger par analogie de la tranquillité dont jouissent les gens qui possèdent. D’ailleurs, en dehors des moyens violens, la falsification est largement exploitée à tous les degrés et dans toutes les branches.

Comment pourrait-il en être autrement quand les délits demeurent presque toujours impunis ? La police est insuffisante ; d’autre part, les agens, remplacés à chaque changement de ministère, outre l’inexpérience du métier, n’ont pas intérêt à l’exercer en conscience. On ne compte pas moins de trois corps de police à