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juste, impuissante contre eux. Dans les plus graves questions, si, par hasard, un député demande que la lumière se fasse, le ministre refuse de répondre, la minorité s’indigne à grand bruit ; mais pour elle en somme il s’agit bien plus de faire parade d’éloquence que d’obtenir des explications qu’une fois au pouvoir, elle refusera à son tour. Chacun songe avant tout à ses intérêts privés : des places pour les parens, les amis ou les électeurs influens, des passe-droits dans l’expédition des affaires, des honneurs, voilà ce qu’on ambitionne, et le ministre par sa libéralité conserve une majorité obéissante. Ce n’est que par exception, lorsque la défaveur publique, le discrédit complet viennent à la longue châtier un ministère, que la chambre devient hostile. On la voit alors, à la suite d’un changement de cabinet amené par la violence ou l’intrigue, passer du jour au lendemain des conservateurs aux libéraux, ou inversement. Cela eut lieu notamment en 1865, lorsque le cabinet d’O’Donnell remplaça celui de Narvaez, et rien ne prouve mieux que les partis n’ont pas d’existence réelle.

Non contens de la falsification du suffrage, pour se perpétuer au pouvoir, les hommes en place ont établi des doctrines et des pratiques singulières. Telle est celle qui consiste à refaire si souvent et en entier la constitution. En effet, comment un parti pourrait-il gouverner avec la constitution antérieure, quand il prétend qu’il a besoin de changer même les autres lois ? Au moins, ces lois restent-elles en vigueur jusqu’à leur remplacement, tandis que la constitution est considérée comme légalement abolie, dès que deux ou trois caballeros se sont emparés par un coup de force du. gouvernement. Cette loi fondamentale, qui garantit les droits les plus importans des citoyens et que les partis libéraux font profession de regarder comme la plus auguste de toutes, est par eux la moins respectée ; et tout cela, pour aboutir, après de longs discours, à une constitution identique aux précédentes, — le sujet n’admettant guère de variété — sauf un ou deux articles qu’il eût été plus court de modifier. On n’oublie pas seulement que la meilleure constitution n’est pas la plus philosophiquement rédigée, mais la mieux observée de tous. On oublie encore que la meilleure est la plus ancienne, semblable en cela à un vêtement rendu commode par l’usage.

On ne soupçonne pas non plus les graves inconvéniens d’une constitution écrite. Dans toutes celles de l’Espagne se lisent ces mots : Le roi nomme et destitue librement ses ministres. La constitution anglaise étant toujours le canevas sur lequel ils brodent, les rédacteurs espagnols ont adopté une phrase souvent répétée en Angleterre, sans voir que c’est là simplement une de ces expressions qu’on conserve en Angleterre comme tout ce qui est marque extérieure