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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/776

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profité de sa toute-puissance pour réformer le moindre abus ou réaliser le moindre progrès. Il est vrai que son entrée au pouvoir n’a été suivie d’aucune persécution ; mais quelles injures avait-il à venger, lui qui n’avait reçu de la révolution que des complimens ? On lui a fait aussi un mérite d’avoir mis fin à deux guerres civiles ; mais il faut tenir compte de la fatigue des insurgés et des efforts des gouvernemens antérieurs qui, dès l’automne de 1873, avaient réuni des forces considérables. Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas que les révoltés de Cuba ni même les carlistes des provinces basques soient bien définitivement domptés ; la faute en est à la façon dont ces deux insurrections ont été désarmées : on a négocié, alors qu’on avait en main une force plus que suffisante pour vaincre.

M. Canovas n’a pas été plus heureux dans le choix de son entourage : lui qui écarte avec tant de soin, dit-on, toute personne qui pourrait lui porter ombrage, il a précisément accueilli et abrité un rival, son propre ministre de l’intérieur. M. Romero Robledo procède de la révolution de 1868, ce qui ne l’empêche pas de figurer dans un parti conservateur et réactionnaire ; du reste, possédant la qualité suprême qu’on recherche dans un ministre de l’intérieur, une main vigoureuse pour les élections. C’est à M. Canovas qu’il doit tout, mais il n’a pas le scrupule de la reconnaissance et il lève un drapeau en face du sien. Affable pour tout le monde, il sait gagner et s’attacher ceux que rebute la hauteur du président du conseil. Bon chef de guérillas dans un parlement de facile composition, il n’a, malgré tout, aucune des qualités d’un chef de parti et l’on perdrait au change.

Laissons de côté les absolutistes et les modérés, les premiers retirés dans leur abstention, les seconds presque mourans, et arrivons aux constitutionnels, le parti qui représente le mieux les traditions des anciens progressistes. Son chef est M. Sagasta, sous la tolérance toutefois du général Serrano qui, sûr de reprendre au moment opportun la première place, se tient aujourd’hui à l’écart. Cachant une ambition inquiète sous les dehors les plus séduisans, aimant la pompe, les honneurs, le premier rang, le général cède volontiers la réalité du pouvoir avec ses responsabilités et ses ennuis, différent en cela de M. Canovas, qui accepte le travail, mais veut en même temps l’apparence et la réalité, et de M. Martos, qui veut la réalité seule et dédaigne l’apparence et le faste extérieur. M. Sagasta, que le général Serrano annulera dès qu’il le jugera convenable, s’efface aussi, paraît-il, devant les impatiences du gros de ses partisans. Conspirateur émérite, il a fini par comprendre que la légalité est de tout point préférable ; mais aura-t-il assez d’énergie pour maintenir dans ces principes le parti libéral qui se figure, comme tous les partis du