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reste, que le pays est avec lui ? Deux chemins sont ouverts aux libéraux pour arriver au pouvoir : ou exaspérer leurs adversaires et les pousser à commettre des fautes qui leur fourniront à eux-mêmes prétextes à insurrections, ou se montrer plus amis de la loi et de l’ordre que les conservateurs, inspirant ainsi, comme les libéraux anglais, une égale confiance au pays. Le choix ne serait pas douteux, si les mauvaises habitudes pouvaient se perdre en un jour.

À la suite des constitutionnels viennent les démocrates. Un exilé, un intransigeant, M. Ruiz Zorilla, les dirige. C’est un honnête homme, suppléant à ce qui peut lui manquer du côté de l’intelligence par la passion politique, la force de volonté, la persévérance de tous les instans : il n’en faut pas davantage pour faire un tribun adoré de la foule. Peut-être aussi qu’au moment où M. Martos n’était connu encore que d’un cercle d’intimes, c’est lui qui a mis en avant M. Zorilla, sûr de le manier comme cire. Nul en effet comme M. Martos n’a pénétré les secrets du cœur humain ; nul ne possède tant d’habileté pour mettre en jeu les faiblesses et les passions et dominer par elles. S’il ne lui manquait pas d’autres qualités de chef de parti, sa prépondérance dans la démocratie serait sans rivale. Dans ses discours, si corrects de forme, pas un mot oiseux ; tous portent et vont semer la division chez ses adversaires. De 1868 à 1873, il a tout conduit ; Prim était le seul qui résistât à son influence. En 1873, il s’éclipse pour reparaître un moment après le coup d’état du général Pavia, puis à la restauration s’éclipse de nouveau jusqu’au moment actuel. Comme homme de gouvernement, c’est principalement sur lui que pèse la responsabilité des maux dont l’Espagne a souffert pendant ces tristes années. L’existence du parti démocratique était à peine soupçonnée en 1868 ; il se révèle alors ; M. Rivero, mort depuis, l’organise et lui conquiert d’emblée une importance hors de proportion avec le nombre de ses adhérons. Toutes les exagérations de cette époque sont imputables aux démocrates avec les résistances et les désordres qu’elles soulevèrent : ainsi la liberté des cultes, qui se manifesta tout d’abord par d’effroyables outrages aux croyances de la majorité, souleva les passions religieuses et la guerre civile en Catalogne et dans le pays basque ; la liberté du commerce, quoique décrétée avec ménagement, valut à la révolution l’inimitié de tous ceux qui vivaient à l’ombre de la protection ; le suffrage universel enfin, tout à fait inutile, puisqu’il laissait les élections aux mains du gouvernement, alarma l’opinion publique. Comme une réaction en appelle toujours une autre, quand les conservateurs revinrent au pouvoir, on vit périr, enveloppée dans le discrédit qui frappait l’ensemble du programme démocratique, toute une partie