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Vers le milieu du printemps de l’année 334 avant Jésus-Christ, Alexandre confie le gouvernement de la Macédoine à Antipater ; il lui laisse en même temps 12,000 hommes de pied et 1,500 chevaux. L’armée à la tête de laquelle il se propose d’envahir l’Asie ne compte dans ses rangs que 30,000 fantassins et 5,000 cavaliers. Jeunes soldats et vieux officiers ! Beaucoup de généraux ont plus de soixante ans ; ils ont fait toutes les guerres de Philippe. Les Gètes et les Illyriens pourraient dire si leur ardeur a faibli. Cette armée emporte avec elle trente jours de vivres. C’est beaucoup pour une armée grecque, mais nulle province n’est plus riche que la Macédoine en subsistances et en hommes. Si la mer appartenait encore aux descendans de Cimon et de Thémistocle, c’est par mer que cette troupe eût gagné les côtes de la Troade ; la flotte d’Alexandre ne se sent pas de force à braver la flotte phénicienne ; il lui faut demeurer appuyée au rivage, côtoyer l’armée qu’elle a charge de nourrir et qui la protégera au besoin de ses traits. Dans cette grande levée de boucliers de la Grèce, Athènes n’a pu fournir que 20 trières. Des vaisseaux de transport, on en aura autant et plus qu’on n’en désire, car le commerce de l’Hellespont n’a pas cessé d’être florissant ; des vaisseaux de guerre, la Grèce a perdu l’habitude d’en construire. La suprématie maritime a passé aux Perses. Les Perses sont parvenus à mettre 400 galères en mer ; la Grèce et la Macédoine, en réunissant leurs efforts, ont eu peine à en équiper 160. C’est dans ces conditions qu’Alexandre entreprend d’arracher le sceptre à Darius.

La flotte macédonienne s’est rassemblée sur la côte de la Chalcidique, dans le lac Cercinite ; elle y est aussi en sûreté que le seraient nos vaisseaux réunis dans l’étang de Berre. Le lac Cercinite, — Yakinos aujourd’hui, — a cinq ou six lieues de long du nord au sud, deux ou trois de l’ouest à l’est. La flotte le traverse et s’abandonne au cours du Strymon. Elle a passé sous les murs d’Amphipolis que le fleuve environne sur trois faces ; bientôt elle débouche dans le port d’Éion. Garde un peu de souffle pour le moment où les vaisseaux se lanceront en pleine mer, vaillant fifre dont l’histoire nous a transmis le nom avec ceux de tant de héros qui seront rois un jour ! Timothée, c’est ta flûte qui a mis la flotte en branle, c’est ta flûte aussi qui doit lui ouvrir le chemin de l’Hellespont. Le port d’Éion est maintenant enseveli au milieu des marais, on reconnaît aisément l’emplacement qu’il a occupé. Peut-être quelque jour le golfe de Contessa, au fond duquel débouche le noir courant du fleuve, rendra-t-il aux explorations patientes de nos érudits et les quais qui bordaient jadis les deux rives du Strymon et l’autel de Neptune où furent offertes les dernières victimes.

La flotte est en route. Alexandre ne s’est pas embarqué ; il a reçu