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devant Amphipolis les adieux suprêmes d’OIympias, mère héroïque qu’il ne doit plus revoir. Roulant déjà dans sa jeune et blonde tête la conquête du monde, il suit avec son armée la route qui mène aujourd’hui le Turc indolent de Salonique à Constantinople. Le mont Pangée a vu passer l’armée de Xerxès et revenir l’armée d’Agésilas ; il regarde avec la même indifférence du haut de ses 2,000 mètres défiler à ses pieds la phalange macédonienne. La montagne a aussi ses combats à soutenir : contre la foudre qui ébrèche ses sommets, contre le torrent qui use ses arêtes ; elle n’a rien à craindre ni à espérer de nos luttes. De coteau en coteau Alexandre arrive à la plaine de Philippes, plaine encore sans nom dans l’histoire, où viendront s’asseoir, avant que trois siècles se soient écoulés, le camp de Brutus et le camp d’Octave. L’armée atteint les bords du Nestus et la vallée profonde qui sépare le mont Pangée du Rhodope. C’est là que commence la Thrace et qu’en face de Thasos se termine la Macédoine. Abdère, sur le bord de la mer, Maronée, sur le promontoire élevé qu’elle couronne, sont successivement dépassées ; l’Hèbre, qui porte aujourd’hui des barques de 50 tonneaux jusqu’à Andrinople, est franchi à la hauteur de Dorisque. Alexandre n’a pas d’équipage de pont ; les fleuves qu’il ne peut passer à gué ou dans des barques, il les traverse, comme ce Rhodien, dont parle Xénophon, voulait traverser le Tigre : sur des claies soutenues par des outres remplies d’air ou de paille. Laissons le héros poursuivre sa route du lac Stentoris au golfe d’Énos ; il n’a pas un instant jusqu’ici perdu de vue sa flotte. Chaque soir, quand il prend un nouveau bivouac, il la retrouve, fidèle au rendez-vous, à portée de la plage. Vingt jours après leur départ d’Amphipolis, flotte et armée se rejoignent à Sestos. Si elles ont toutes deux suivi, sans se quitter, les longs replis du golfe de Saros, — et je ne vois pas trop, à vrai dire, comment elles auraient pu s’épargner ce détour, — elles ont dû faire au moins 23 kilomètres 1/2 par étape. Les marches des anciens ne sont pas pour nous un moindre sujet d’étonnement que leurs exploits. Le voyageur qui aurait simplement parcouru en douze ans autant de pays qu’en visita, dans ce court laps de temps, Alexandre, mériterait de nos jours d’être présenté à toutes les sociétés de géographie.

Parménion connaissait le chemin de l’Asie ; ce fut lui qui, le premier, prit terre à la pointe d’Abydos. 160 trières et un grand nombre de navires de charge l’y transportèrent avec le gros des troupes. Alexandre partit d’Éléonte, — le château d’Europe, — et se fit débarquer au cap Sigée. Il n’eût point voulu passer si près du tombeau d’Achille sans lui aller demander conseil. Quels