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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/792

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indignes accens cependant cette évocation généreuse l’exposait à entendre ! « Achille mort ne vaut pas un goujat vivant » est un triste aphorisme ; je ne voudrais pas le donner pour encouragement à qui s’apprête à braver la mitraille ou à se jeter dans les eaux du Granique. Quand ils n’ont rien de mieux à nous dire, les mânes des héros font bien de rester muets.

Le Granique descend d’un cours impétueux des flancs du mont Ida ; il va se perdre dans la baie de Cyzique, non loin des villes grecques de Parium et de Priapus, où nous avons déjà, au temps de la guerre du Péloponèse, rencontré Alcibiade. On était au mois de juin ; les journées étaient longues et le ciel en feu. L’armée des Perses, avec ses 30,000 mercenaires grecs et sa cavalerie nombreuse, se montrait rangée sur la rive droite du torrent. Elle défendit bravement le passage contre l’élan de la cavalerie thessaliennes les lances en bois de cornouiller n’eurent pas sans quelque peine raison de ses javelots. Alexandre pourtant ne combat plus qu’avec un tronçon. « Donne-moi ta lance, crie-t-il à son écuyer. — Cherchez-en une autre, lui répond Arès ; la mienne aussi est brisée. » Démarate le Corinthien, à ces mots, accourt ; sa lance est intacte, il en arme la main d’Alexandre ; il était temps : le gendre de Darius, Mithridate, arrivait en ce moment au galop, conduisant comme un coin au milieu de la mêlée tout un escadron. Alexandre lui épargne la moitié du chemin et d’un coup vigoureux porté en plein visage le jette à bas de sa selle. Ce n’est pas malheureusement un seul adversaire qu’il s’agit de vaincre ; le héros de toutes parts se voit entouré. Rosacès lui décharge sur la tête un coup de cimeterre ; le casque est entamé, le tranchant du fer n’a pu qu’effleurer les cheveux. Toute la noblesse perse s’acharne après le roi ; Spithridate a déjà le bras levé et va frapper Alexandre par derrière ; Clitus le Noir prévient le satrape. L’épée de Clitus a porté un coup si terrible que le bras de Spithridate, détaché près de l’épaule, tombe à terre ; il tombe avec l’arme que les doigts crispés serrent convulsivement. Le roi, pendant ce temps, est atteint d’un trait au défaut de la cuirasse et voit son cheval blessé se dérober sous lui ; mais il a pu prendre pied sur l’autre rive du Granique. La bataille est gagnée et la victoire se change bientôt en tuerie.

Une pareille entrée en campagne mettait la Troade et la petite Phrygie aux pieds d’Alexandre. Ces deux provinces s’étaient déjà trouvées, en l’année 396 avant Jésus-Christ, à la merci des Lacédémoniens. Agésilas n’avait point, comme Alexandre, passé en Asie à la tête de 35,000 hommes ; il ne s’en croyait pas moins assuré de conquérir, quand il le voudrait, l’empire d’Artaxerce. L’entreprise semblait folle ; le roi de Sparte eut bientôt trouvé le moyen de faire partager ses espérances aux rudes