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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/794

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chercher à constituer à sa propre image des populations qui ont un autre goût. Les Anglais sont constamment tombés dans cette erreur ; aussi, malgré les grandes choses qu’ils ont accomplies, doit-on les tenir pour des colonisateurs bien inférieurs aux Français d’autrefois et aux Hollandais.

Suivez des yeux sur la carte tous ces golfes qui, du cap Sigée, se déroulent en cercle jusqu’aux portes de la Cilicie ; voilà l’immense pourtour qu’il faudra occuper, si l’on veut en interdire l’accès aux flottes échappées d’Halicarnasse : le golfe d’Adramity, qui s’enfonce dans les terres jusqu’au pied du mont Ida, le golfe de Sanderli, où débouche, à quatre lieues de Pergame, le Caïcus, les baies de Cymes, de Phocée, le golfe de Smyrne et, de l’autre côté de la presqu’île de Clazomène, les larges échancrures de Tchesmé et d’Erythrée, séparées l’une de l’autre par le mont Mimas. Après Tchesmé viennent le golfe d’Éphèse et le golfe de Milet, puis le golfe d’Iasus et le golfe de Cos, le golfe de la Doride et le golfe de Glaucus ; nous atteignons enfin le promontoire sacré : le vaste golfe de Satalie se déploie devant nous. C’est là que le mont Climax sépare la Pamphylie de la Lycie. A partir du promontoire sacré, que vous reconnaîtrez aisément dans le cap Chelidonia, Alexandre va trouver une autre langue, d’autres mœurs ; les colonies grecques feront place aux colonies assyriennes. Phasélis seule, assise sur le bord occidental de cette mer interdite aux vaisseaux d’Athènes, vers le point où le mont Clymax plonge brusquement dans la baie, se montre disposée à faire bon accueil au conquérant étranger. Les Phasélites sont bien connus en Grèce ; on les y tient pour les plus fourbes de tous les négocians. La crainte que leur inspirent les montagnards de la Pisidie répond heureusement de leur fidélité ; les Phasélites ont besoin d’un maître qui les protège, et ce maître n’a jamais été le roi des Perses. « Les Mysiens, écrivait Xénophon dans un temps où la monarchie était moins ébranlée qu’aux jours où la vint assaillir Alexandre, habitent dans les états du roi, malgré tous les efforts qui ont été faits pour les en chasser, des villes florissantes ; il en est de même des Pisidiens et des Lycaoniens. » Ce que le roi de Perse n’a jamais pu faire, il faut pourtant qu’Alexandre le fasse. Il ne peut laisser sur ses derrières, sans les avoir soumises, ces populations jusqu’alors indomptées. Memnon tient la mer avec 300 voiles et, si les Pisidiens lui prêtaient leur concours, il aurait bientôt repris pied sur le littoral.

Il n’est pas douteux que le moment où le roi de Macédoine tourna le promontoire sacré n’ait été pour la grande expédition d’Asie une heure assez critique. Memnon s’était emparé de Lampsaque et venait de rétablir à Chio le pouvoir oligarchique, l’île de Lesbos lui obéissait tout entière, à l’exception de la ville de Mitylène. Ce hardi