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marin n’avait que sa flotte, mais il en faisait un meilleur usage que le prince Rupert ne sut faire de la flotte enlevée, après la chute de Charles Ier, au parlement. Si Memnon eût vécu, la Grèce, soulevée par Lacédémone, n’eût pas tardé à lui tendre la main ; la monarchie des Perses aurait été très probablement sauvée par cette diversion. Memnon meurt, emporté par une maladie pestilentielle ; à l’instant tout se trouble. Pharnabaze, — le neveu de Memnon, — et Autophradatès achèvent, il est vrai, de réduire Mitylène ; les contributions qu’ils se voient obligés d’exiger indisposent leurs partisans mêmes. Eux, les protecteurs de l’oligarchie, ils imposent les riches ! Ne faut-il pas, puisqu’on est hors d’état d’aller chercher lus subsides de Darius, user de ce moyen pour faire subsister la flotte ? Des Perses réduits à vivre aux dépens des Grecs ! Pharnabaze et Autophradatès ne tiendront pas longtemps la campagne. La soumission forcée de Ténédos ne compense pas le fâcheux effet d’un échec essuyé par Datame. Protée, fils d’Andronicus, expédié par Antipater, a surpris, à la faveur d’une attaque de nuit, la division à la tête de laquelle Datame parcourait les Cyclades ; sur dix vaisseaux, il lui en a enlevé huit avec leurs équipages ; la marine grecque reprend peu à peu son ascendant.

Tant qu’il ne sera pas maître de la mer, comme l’était Cyrus le Jeune, quand il marcha de Sardes sur Babylone, Alexandre ne pourra faire venir de renforts qu’à travers la Phrygie. Il lui faut donc garder cette longue ligne d’opérations qui va de l’Hellespont au canal de Chypre. Quelle activité prodigieuse ne dut-il pas, à cette occasion, déployer ! Bien qu’il n’eût pas cessé de voler de triomphe en triomphe, il n’en était pas à s’apercevoir que l’attaque des places exige d’autres sacrifices que le passage des fleuves et la guerre en rase campagne. Tout homme, comme le remarquait si bien le maréchal Niel, est soldat derrière des murailles ; au siège d’Halicarnasse, Alexandre s’était vu contraint, pour repousser une sortie, de faire donner la vieille garde. Ces vétérans vivaient d’ordinaire dans le camp, sans partager les travaux et les périls de l’armée ; la plupart avaient dépassé l’âge de soixante ans, quelques-uns même étaient septuagénaires. Napoléon, dans sa plus extrême détresse, n’a songé qu’à faire combattre des enfans ; il n’a pas appelé sous les drapeaux des vieillards. Avant d’aller plus loin, Alexandre doit combler le vide de ses rangs ; il ne le pourra qu’en restant en communication avec la Grèce.

L’heure n’est pas venue de donner du repos aux soldats du Granique ; c’est au cœur de l’hiver que le roi marche au secours des Phasélites. De Phasélis il fait prendre la route des montagnes à une partie de son armée ; il conduit le reste lui-même le long du rivage. Pendant toute une journée les Macédoniens s’avancent au