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Dans ce beau livre où il a étudié la Renaissance, au chapitre intitulé : « Renaissance de l’antiquité, » J. Burckhardt dit que « les conditions sociales de l’époque auraient suffi, sans l’influence de l’antiquité, pour porter la nation italienne à un certain degré de maturité : comme il est certain aussi que la plupart des innovations véritablement substantielles, apportées alors dans la vie publique, se seraient développées sans elle[1]. »

Si cette assertion était exacte, — et nous nous permettons die dire qu’elle ne l’est point absolument, surtout en ce qui touche et les lettres et les, arts, — il faudrait supprimer déjà, parmi les causes du mouvement, une de celles que nous comptons parmi les plus décisives. Ce serait alors au seul génie florentin et aux seules circonstances politiques et sociales que serait due l’élaboration du grand œuvre. Il n’est que juste de dire que l’écrivain que nous venons de citer reconnaît pourtant que l’antiquité, imprima alors aux lettres et aux arts un coloris spécial, qui se manifesta dans la forme, sinon dans la substance des choses.

La rénovation, il faut le dire tout d’abord, s’exerça dans tous les sens ; ce ne fut pas seulement un retour au culte des choses de l’esprit, inspiré certainement par la découverte des œuvres de la littérature et de la philosophie antiques, mais il sembla qu’on eût retrouvé en même temps le sens perdu de la beauté plastique.

La lutte continue pour l’indépendance, pour cette liberté d’association qui fut un des grands leviers de la puissance de Florence, pour l’autonomie politique de la cité et pour la revendication des libertés communales, interdisait d’abord à tout Florentin le désintéressement de la chose publique ; elle forçait les citoyens, à tous les degrés de l’échelle sociale, à une certaine activité physique et intellectuelle, en leur imposant, outre les efforts naturels qu’exigent les nécessités de la vie matérielle en des temps troublés, une préoccupation et une responsabilité personnelle d’un ordre plus élevé. De bonne heure, chaque Florentin appartint à un groupe et fut le soldat d’une idée ; on l’appelait à toute heure à la défense de sa bannière, à la revendication de ses droits méconnus et, à sa place, dans le rang de sa corporation, il devenait, dans la mesure de sa valeur morale et de sa faculté d’initiative, l’artisan et le champion, effectif d’une réforme.

L’initiative était alors une loi pour tous, l’originalité et l’indépendance de caractère une habitude ; l’esprit surtout était individuel. Le pouvoir démocratique, à côté de ses dangers évidens, a, cela de fortifiant qu’il n’impose pas à tous un joug commun, et qu’il ne fixe de limite à l’ambition de chacun que celle que lui impose

  1. La Civilisation de la Renaissance en Italie, par J. Burckhardt ; Florence, 1876.