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de la Méditerranée, aucun prince ne fut insensible à cette influence civilisatrice, aucun peuple n’y fut réfractaire. A Naples, Alphonse d’Aragon, surnommé le Grand, l’original des médailles épiques du Pisanello, avait pris pour sa devise un livre ouvert. Il disputait à Florence les plus célèbres professeurs et les écrivains les plus estimés ; il avait pour secrétaire ce fameux Gianozzo Menetti, un des plus grands hellénistes de son temps, Laurent Valla, qui ouvrit à la cour une école d’éloquence, Barthélemi Fazio, le traducteur des Conquêtes d’Alexandre d’Arrien. Venise avait le privilège de ses relations commerciales avec l’Orient, elle allait au-devant des Grecs fugitifs pour leur offrir une hospitalité splendide, et le sénat, toujours en éveil pour le bien public et le développement intellectuel, enchaînait ces exilés qui lui apportaient le trésor de l’érudition des Hellènes, les Chrysoloras, les George de Trébizonde, les Philelphe.

Ferrare, malgré l’exiguïté de son territoire, se distinguait aussi dans cette admirable lutte intellectuelle, et la tourmente de la guerre ne parvenait point à en paralyser l’action. Dans l’université qu’il y a fondée, Nicolas III d’Esté était le plus assidu des écoliers de Jean Aurispa et de Guarino de Vérone, et toute cette dynastie des Este, Lionel, Borso, Hercule Ier, Alphonse Ier, le mari de Lucrèce, animés du même feu, devaient continuer la tradition de la famille et faire de la cour de Ferrare une rivale du duché d’Urbin et une Florence en miniature. Mantoue avait les Gonzague, où Vittorin de Feltre, un homme admirable, « parfait modèle d’éducation littéraire et civile, » dirigeait une école publique rivale des plus grandes universités, et là aussi les descendans du marquis Jean-François Ier ne devaient point dégénérer des vertus de leur père. Les femmes d’ailleurs y étaient illustres : Cécile Gonzague écrivait le grec, et sa nièce Barbe avait fondé l’université de Tubingue.

On ne peut pas dire que Rome, dans cette lutte d’émulation, ait tenu dès les premiers siècles du mouvement, une place en rapport avec l’importance de son nom, de sa puissance, et la majesté de ses souvenirs. Il fallut l’avènement d’un pontife comme Nicolas l’pour donner une vive impulsion ; les huit années pendant lesquelles il porta la tiare ont été fécondes pour les lettres. Il prit un tel souci du développement intellectuel qu’on l’accusait au sacré collège de négliger les intérêts de l’église. La connaissance des auteurs anciens et la multiplication des moyens d’étude semblaient être son unique souci ; il apportait là un entrain et une chaleur dont plus tard Jules II et Léon X devaient donner le même exemple pour le développement des arts. Partout où on signalait un homme distingué, il l’appelait à lui, disputant à Alphonse d’Aragon les écrivains, les latinistes et les hellénistes. Il s’attacha Aurispa, Menetti,