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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/830

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Tiphernas, George de Trébizonde, Théodore de Gaza. Nous l’avons montré simple moine, dirigeant à San Marco l’atelier des copistes de Cosme le vieux : que ne devait-il point faire le jour où, devenu tout-puissant, il se trouvait pourvu de ressources presque inépuisables ! Il organisa des missions, s’attacha des pourvoyeurs qui fouillaient toute l’Asie. Le jour où on lui apporte le Polybe, il donne à ce Perotto qui devait devenir le célèbre archevêque 500 ducats d’or pour le traduire dans un court délai ; à Guarini de Vérone il paie 1,000 florins d’or pour traduire Strabon ; et le jour où il lui apportera le dernier chapitre, il lui comptera encore 500 florins. Il devait laisser une bibliothèque unique, superbement reliée, qui forma le noyau de l’incomparable Vaticane.

Sous son pontificat, la peste éclata à Rome. Nicolas V se transporta à Fabriano, et, ne voulant pas laisser exposés au fléau ses traducteurs et ses copistes, il les installa près de lui dans l’archevêché. Heureusement il devait avoir pour l’un de ses successeurs cet admirable Æneas-Sylvius Piccolomini, le grand enthousiaste de l’antiquité, le protecteur du Pinturrichio, le bienfaiteur de Sienne, celui qui allait faire aux humanistes leur véritable place dans la société de son temps.

Dans les arts, l’activité avait été tout aussi grande. Sienne surtout, avec un homme de génie, Jacopo della Quercia, et Pise, berceau des Pisani, avaient pris une grande place et une vigoureuse initiative ; de nombreux centres s’étaient créés, mais bientôt Florence avait exercé sur chacun d’eux une action indiscutable et une suprématie incontestée. C’était le grand foyer et la grande école ; les maîtres venus des divers points de son territoire empruntaient au génie florentin une correction et un charme dont il est difficile de bien analyser la source et indiquer l’exacte origine. À partir de la moitié du XIVe siècle jusqu’à 1600, veut-on élever un temple à Mantoue, à Sienne, à Padoue, à Rimini, c’est aux artistes florentins qu’on s’adresse, et Rome elle-même a les yeux tournés vers Florence et subit son joug. S’il faut donner une tombe superbe à un mort illustre, capitaine, philosophe ou prélat, c’est à ses sculpteurs qu’on s’adresse. Venise, Padoue, Milan, Ferrare veulent-elles glorifier quelque grand condottiere, Sforza, Borso, Coleoni ou Gattamelata : c’est encore à un Florentin qu’elles ont recours. C’est l’esprit de Florence qui règne à Urbin, à Ferrare et à Rimini. Venise ne doit qu’à la nature étrange de son sol, à l’atmosphère de sa lagune, à sa proximité de l’Orient, à son caractère de peuple navigateur et à ses traditions byzantines d’avoir pu marquer d’un cachet spécial les œuvres de ses admirables artistes. Encore à la grande époque, au XVe siècle, subit-elle assez visiblement l’influence, puisque des hommes comme les Lombardi et Léopardi sont troublés