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assemblage des qualités et des défauts de son temps, ne pourra plus nous faire oublier ce Donatello, étrange parfois à force d’originalité, mais toujours grand, savoureux et fort ; aujourd’hui noble et plein d’un calme superbe avec le Saint George d’Or san Michele, demain jetant un grand cri épique au santo Padone.

Nous voici à l’étude de Florence après avoir consacré de longues années à Venise : ce n’est point renier ses dieux. La ville des Médias exercera sur toutes les générations une véritable fascination et sollicitera la curiosité de tous les esprits cultivés sans jamais leur causer de déceptions. Rome, sans doute, est plus auguste et parle plus à l’imagination des hommes, un long séjour dans la ville éternelle remplit l’âme d’une mélancolie féconde ; Venise est plus étrange, plus rare, plus piquante et plus pittoresque, mais comme Carthage, comme Gênes, comme toutes les cités qui ont eu le génie du commerce, Venise, dans l’ensemble des chefs-d’œuvre littéraires qui forment le patrimoine de l’humanité, n’a apporté qu’une part restreinte, et l’ascendant impérissable que donne un Dante, un Shakspeare, un Cervantes, un Molière, un Goethe, aura manqué à la ville des doges. Hâtons-nous de dire que cette infériorité, elle l’a su racheter par l’importance de son rôle politique et par les immenses services qu’elle a rendus au monde comme intermédiaire entre l’Orient et l’Occident ; par son amour des choses intellectuelles et son goût décidé pour les arts, entassant dans ses palais, dans ses églises et ses monumens, avec une prodigalité folle, des trésors d’art qui peuvent souvent rivaliser avec ceux de la Toscane. La suprématie de Florence demeure donc une suprématie reconnue, librement exercée et contre laquelle l’Italie n’a jamais protesté. C’est même au nom de cette suprématie qu’il y a quelques années à peine, elle a été la victime expiatoire du mouvement irrésistible qui a fait l’unité de l’Italie.

Il faut beaucoup aimer Florence, et on la doit étudier sans cesse, car elle est indispensable à l’humanité : elle a vu naître le poète de la Divine Comédie, engendré Michel-Ange « l’homme aux quatre âmes, » et Galilée, le sublime aveugle qui lit dans les ténèbres et devine les secrets des mondes. Si Florence disparaissait de la surface du globe, les archives de la pensée moderne auraient perdu leurs titres les plus précieux, et la race latine serait en deuil de ses aïeux.


CHARLES YRIARTE.