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devant les tribunaux et que les juges avaient accepté son affirmation. Le secrétaire en référa immédiatement au président, M. Brand : celui-ci déclara avoir des doutes sérieux sur l’interprétation que M. Bradlaugh donnait aux textes législatifs sur lesquels il fondait sa demande. Il refusa donc de trancher la question de sa seule autorité, et il invita la chambre à décider si l’élu de Northampton pouvait être admis à affirmer.

C’était au gouvernement, suivant la tradition parlementaire de nos voisins, à prendre l’initiative et à faire connaître son sentiment. L’incident n’avait rien d’imprévu, le cabinet avait eu le loisir de s’y préparer et de prendre un parti. Les libéraux avaient accepté le concours électoral de M. Bradlaugh et des socialistes : ils ne pouvaient répudier les conséquences de cette alliance. Si le gouvernement avait immédiatement et résolument appuyé la demande de M. Bradlaugh, il aurait entraîné la chambre malgré les répugnances et les scrupules de bon nombre de ses partisans : les abstentions, les défections même ne pouvaient réduire la majorité de plus de cent voix dont le cabinet disposait, au point de rendre le résultat douteux. Les préventions et les antipathies violentes dont M. Bradlaugh était l’objet firent reculer M. Gladstone ; il appréhenda, si le gouvernement intervenait, d’être accusé de se faire le patron de l’athéisme et il chercha à rejeter sur autrui la responsabilité qu’il redoutait. En l’absence des ministres, soumis en ce moment à la réélection, lord Frédéric Cavendish proposa, au nom du gouvernement, de renvoyer la demande de M. Bradlaugh à l’examen d’une commission, qui fut nommée immédiatement.

Les discussions furent très longues et très vives au sein de cette commission. C’était la première fois que le parlement avait à s’occuper d’une question de cette nature depuis l’admission du baron de Rothschild. Un bill spécial avait tranché, en 1868, les difficultés qui s’élevaient devant les tribunaux et qui entravaient le cours de la justice. Les quakers, les moraves et les membres de quelques autres sectes peu répandues prennent à la lettre le second commandement de la loi mosaïque et l’interprètent non comme l’interdiction de prêter un faux serment, mais comme l’interdiction absolue de prendre le nom de Dieu à témoin. Lorsque des membres de ces sectes étaient assignés en témoignage, ils refusaient de déposer sous la foi du serment et préféraient se laisser condamner à l’amende et même à la prison. Or l’absence d’un témoignage pouvait entraîner la perte d’un procès civil ou la condamnation d’un innocent. Ce fut à ce point de vue que le parlement se plaça pour autoriser les cours de justice à accepter comme équivalant à un serment l’affirmation des personnes qui déclareraient se refuser, par scrupule de conscience, à attester le nom de Dieu. Dans la pensée du