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le discours royal avait laissés planer sur les intentions réelles du gouvernement, et quelles avaient été les réticences des ministres dans la discussion de l’adresse. Le caractère et les sentimens de M. Gladstone étaient trop connus pour qu’on se fit illusion sur le but qu’il poursuivrait. On savait qu’il entendait l’exécution du traité de Berlin judaïquement ; c’est-à-dire que la Turquie serait harassée et poursuivie sans repos ni trêve jusqu’à ce qu’elle eût exécuté, de la façon la plus préjudiciable à ses intérêts, les clauses du traité qui sont à son détriment, comme les rectifications de frontière et les cessions de territoire, mais que les garanties inscrites en sa faveur dans le traité seraient tenues pour nulles et non avenues. On soupçonnait même certains membres du cabinet de vouloir chercher quelque querelle à la Turquie afin d’avoir un prétexte de déchirer la convention du 5 juin 1879. La circulaire lancée par lord Granville, le lendemain de son entrée en fonctions, avait été envisagée comme un premier pas vers l’exécution de ce plan. Toutefois, les chefs de l’opposition ne pouvaient engager de débat que sur des documens authentiques et à l’occasion de faits incontestés. Le gouvernement annonçait l’intention de n’agir que de concert avec les autres grandes puissances, et on devait le croire jusqu’à ce qu’on eût la preuve du contraire.

La répugnance que la cour de Vienne montra tout d’abord pour la réunion d’une nouvelle conférence fit comprendre au cabinet anglais la nécessité d’user de précautions. Il craignit de se découvrir trop tôt et trop complètement, s’il prenait l’initiative en toute occasion. Il lui fallait trouver quelque autre puissance qui se chargeât d’exposer ses vues et qui parût agir d’elle-même, tout en n’étant que le porte-parole de l’Angleterre. Le gouvernement français, ou habilement circonvenu ou séduit par des promesses, accepta ce rôle : ce fut le plénipotentiaire français qui prit, à Berlin, l’initiative de toutes les propositions, et particulièrement de l’extension considérable à donner à la frontière grecque : l’Angleterre parut se rallier à des vues qu’elle inspirait.

Le secret dont la conférence de Berlin prétendit couvrir ses travaux fournit au cabinet anglais un argument sans réplique pour se refuser à toute discussion et, ensuite, à toute communication. Les négociations étaient communes aux six puissances ; il était impossible de rendre publique aucune partie de cette correspondance sans leur assentiment, et elles jugeaient cette publicité dangereuse pour le succès de l’œuvre qu’elles poursuivaient. Il fut donc facile au cabinet d’éluder toute discussion approfondie et de lasser la persévérance des questionneurs les plus infatigables. Les chefs da parti conservateur jugèrent que tout débat serait prématuré tant que la politique extérieure du gouvernement ne se serait pas