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Les centres de l’ouïe, du goût, de l’odorat, du tact, sont localisés de la même manière, et, si les observations ne sont pas encore très nombreuses, elles constituent du moins de fortes présomptions en faveur de la localisation actuellement adoptée. Il arrive parfois que plusieurs centres sont atteints en même temps ; dans ces cas, s’il s’agit d’une lésion irritante, il survient de temps à autre une décharge simultanée provoquant un très singulier amalgame de sensations : c’est ainsi qu’un malade observé par Ferrier déclarait éprouver la sensation d’une « horrible odeur de tonnerre vert. » Nous convenons sans peine que les argumens cliniques à l’appui de la localisation des centres sensitifs ne sont pas encore aussi nombreux ni aussi concluans qu’ils pourraient être : cela tient à ce que l’on ne recherche les cas de ce genre que depuis fort peu de temps : chaque jour apporte son contingent, qui ne peut être bien considérable, vu la rareté des lésions limitées du cerveau.

Nous en dirons autant des faits relatifs à la localisation de l’intelligence, qu’il nous reste à étudier pour clore la série des preuves à l’appui de notre théorie. Bien avant qu’elle vît le jour, l’on admettait que la région frontale du cerveau est plus spécialement en relation avec le fonctionnement intellectuel. Gratiolet avait même créé l’expression peu scientifique de races frontales pour désigner, dans la nomenclature anthropologique, les races à intelligence et à front développés. L’on a de même désigné par races occipitales celles où l’intelligence est moindre, mais où les sens sont plus perfectionnés. Ajoutons que la région frontale est celle qui acquiert chez l’homme le plus grand développement, ce qui concorde avec la prédominance de la raison et de la logique chez lui, tandis que chez la femme, où la sensibilité domine et dirige, la région occipitale l’emporte sur les autres. Dans le même ordre d’idées, mais à un point de vue plus général, nous pouvons encore citer les études de Bordier sur les crânes d’assassins, de Luys sur les cerveaux de fous et d’idiots, de Bénédikt sur les cerveaux de criminels, de Lombroso sur les caractères du criminel habituel : les conclusions sont analogues et confirment plus qu’elles ne combattent l’idée populaire.

Mais ce ne sont pas là des argumens précis et positifs. Heureusement il en est d’autres, de nature plus scientifique et plus concluante, parmi lesquels nous ne citerons que le suivant ; aussi bien montrera-t-il, outre la localisation en question, la puissance de résistance que l’homme peut parfois opposer à la mort. Le héros de ce cas, célèbre dans les annales de la physiologie cérébrale et connu sous le nom de American crowbar case, était un jeune homme, P. Gage. Un jour qu’il s’occupait à bourrer la charge d’un trou de mine, la charge fit subitement explosion, et l’instrument