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d’Aîda, se fût trouvé très compromis. Curieuse histoire pourtant qu’un théâtre comme l’Opéra soit ainsi réduit à la merci de deux compositeurs chevronnés, dont l’un se récuse parce qu’on n’a point à lui donner Adelina Patti pour sa Francesca et le Mario des belles années pour son Paolo, et dont l’autre s’aperçoit seulement au moment d’aller en scène, que sa partition, qu’il prenait déjà pour un chef-d’œuvre, est pleine de trous nécessitant force reprises ! Voilà cependant où nous aura conduits le système exclusif pratiqué depuis des années, cette abusive exploitation d’un répertoire composé de six ou huit chefs-d’œuvre et qu’on ne renouvelle pas, du moins efficacement, car, lorsque le grand ouvrage réglementaire qu’on monte une fois l’an ne réussit pas, — ainsi que le cas s’est présenté pour Jeanne d’Arc et Polyeucte, — nulle mesure n’ayant jamais été prise en prévision de l’accident, force est d’en revenir aux vieux erremens de la veille et de rééditer l’ancienne affiche, jusqu’à ce que M. Gounod ait réparé ses défaillances ou qu’il plaise à M. Thomas de renoncer à ses prétentions lunatiques. Car nous en sommes à ce point de voir toutes nos destinées dépendre de Françoise de Rimini et du Tribut de Zamora, et cela dans une période aussi riche en jeunes talens que la nôtre : c’est à n’y pas croire 1 Cette situation, M. Vaucorbeil ne l’a point créée, elle remonte à l’administration de M. Perrin ; il semble au contraire que le directeur actuel ait à cœur de réagir au nom de la musique. Les vrais artistes ont cela de bon que le soin de leur fortune personnelle n’est pas ce qui les préoccupe avant toute chose ; à ce compte, M. Vaucorbeil mérite une absolue confiance ; nous avons pu craindre même de le voir déployer un zèle trop spécial lorsque, dès son entrée, il voulait inaugurer certains concerts panachés d’archaïque et de moderne, plus à leur place, comme exercices, dans la salle du Conservatoire que sur cette vaste scène de l’Opéra, où la musique ne va guère sans l’appareil du drame et du spectacle. Mais l’expérience a bien vite eu raison de cette émulation de la première heure, et nous pouvons saisir dès à présent un programme très arrêté de sages réformes : ainsi toute une aimable famille d’opéras en deux actes, systématiquement écartés sans qu’on ait su pourquoi, nous sera rendue ; le Comte Ory de Rossini, l’Anacréon de Grétry, le Philtre d’Auber, viendront aider à la variété des spectacles de manière qu’il y en ait pour tous les goûts et qu’on ait des auxiliaires de rechange pour accompagner les ballets et laisser un peu reposer la Favorite et le Freischütz horriblement fourbus à ce métier. Car il entre aussi, paraît-il, dans les projets de M. Vaucorbeil de s’occuper beaucoup de la danse, excellent moyen de maintenir en haleine tant de jeunes symphonistes de talent et de les empêcher d’attendre les bras croisés que leur tour vienne d’écrire un opéra.

Cette année c’est M. Widor qui débute par la Korigane, et l’année