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acquisitions, d’abord et avant tout M. Maurel, ensuite M. Melchissédec, de l’Opéra-Comique, et comme on avait déjà M. Lassalle, cela s’appelle tenir en main un assez joli brelan de barytons. Après avoir paru dans Hamlet, M. Maurel a chanté don Juan. Paris n’en a pas demandé davantage pour l’adopter : voix exquise, plus séduisante que vigoureusement caractérisée, et qui vous charme par son magnétisme, talent de race, en même temps très intellectuel et répondant à cet idéal compliqué du dilettantisme contemporain qui, depuis Nourrit et Lablache, eut trouver dans son chanteur un mélange de virtuose, d’homme du monde et de lettré. Nous n’avons plus affaire, comme avec M. Faure, à ce solfégiste irréprochable, à ce fort en thème du Conservatoire habitué à jurare in verba magistri et qui, l’auteur n’étant point là pour le styler, ne saurait aborder une création de Shakspeare ou de Mozart sans recourir à la leçon du professeur. C’est aux seuls conseils de son expérience, de son observation et de ses études personnelles que M. Maurel obéit. En cela son cosmopolitisme l’aura beaucoup aidé. Le prince de Danemark était déjà pour lui une vieille connaissance, lorsqu’il l’a rencontré en mettant le pied sur la scène de l’Opéra. Hamlet ne lui était pas seulement apparu dans ses lectures, il l’avait surtout fréquenté à Londres aux jours où le héros de Shakspeare s’y montra sous les traits du tragédien Irving. Quant à don Juan, s’il chante le rôle en musicien consommé, sa figuration du caractère est d’un homme qui a lu Molière, Hoffmann, Byron, et qui comprend, et ce n’est pas lui qui jamais imiterait cette cantatrice qui nous disait un soir, au moment d’entrer en scène : « Expliquez-moi donc ce que c’est que ce personnage de donna Anna. » — Chanteur correct et d’un bon style, émouvant et vibrant, trop vibrant même quelquefois et forçant la note, M. Melchisséiec fait un Guillaume Tell très recommandable et qui serait sans reproche s’il savait mieux gouverner sa voix. Quiconque a vu la dernière reprise de l’Étoile du Nord à l’Opéra-Comique se souviendra de M. Giraudet et de sa belle voix de basse. Cette voix résonne aujourd’hui dans les Huguenots sous la vaste nef de l’Opéra et ne s’y trouve pas dépaysée le moins du monde, loin de là. Seulement c’est l’effort contraire qu’on lui demande, et tandis qu’à l’Opéra-Comique il s’étudiait à modérer le son, il lui faudra désormais ôter les sourdines et pousser en dehors. Excepté dans les passages où les notes graves se présentent, l’accent fait défaut et manque de cette rudesse qui sied au caractère de Marcel, tel que M. Giraudet l’a d’ailleurs compris et le rend par l’attitude.

Il n’y a pas à dire, cette partition des Huguenots reste ce que l’art dramatique du siècle aura produit de plus achevé. Laissons de côté, pour un moment, le génie musical du maître. Comme entente du théâtre, c’est merveilleux. Quoi de plus galant, de mieux inventé que ce deuxième acte en pleine renaissance, gazouillant et roucoulant avec