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Don Juan. On puiserait à pleines mains dans le trésor des symphonies et des sonates. Voyez-vous d’ici quel effet : ce prodigieux tutti du finale éclatant en toute résonance et lumière au sortir de la tragique scène du souterrain ! S’il est vrai, comme on ne cesse de nous le répéter, que l’Opéra, soit un musée, quelle plus belle occasion de l’enrichir d’un Michel-Ange ? Notre public ne connaît pas Fidelio, on le connaît mal ; bien des gens, en dépit du mouvement qui nous entraîne et de ce qu’on applaudit aux concerts populaires, persistent à déclarer obscure cette musique qu’ils n’ont jamais entendue que médiocrement exécutée et dont un poème ennuyeux gêne l’essor. « Élargissez Dieu, » voulait Diderot ; aérez, éclairez le chef-d’œuvre, transformez la pièce en vous contentant d’y introduire du pittoresque et sans toucher au sentiment, âme de cette sublime partition, puis donnez à Beethoven vos chanteurs, vos chœurs, votre mise en scène et laissez Gabrielle Krauss faire le reste.

« L’examen semestriel des classes de danse a eu lieu mercredi à l’Opéra ; les élèves de M. et de Mlle Théodore (fillettes, premier et second quadrille) et de Mme Zina Mérante (coryphées et petits sujets) ont battu leurs plus beaux entrechats et dessiné leurs plus gracieux ronds de jambes. Les juges se sont montrés fort satisfaits des résultats obtenus, etc. » Au moment où les journaux publiaient cette note, paraissait, il y a deux mois environ, un livre de M. Ludovic Halévy, intitulé : les Petites Cardinal, et qui n’est autre que le roman comique de tout ce gentil monde de la danse auquel cent fois il vous est arrivé de rendre visite pendant l’entr’acte, avec ou sans gardénia à la boutonnière, selon que vous étiez jeune ou que vous ne l’étiez plus. L’Europe entière a passé par là dans la personne de ses princes, de ses hommes d’état et de ses artistes, et Paris donc ! quelle célébrité de la politique ou du high life, quel peintre et quel poète se déroba jamais aux séductions de ce coin du paradis de Mahomet ! J’y ai vu M. Mole causant avec Taglioni, Musset récitant des vers de Casimir Delavigne à Fanny Essler, Saint-Marc Girardin lui-même ! préludant « au milieu des Grâces » à son cours de Sorbonne du lendemain, et plus tard Prévost-Paradol traversant les groupes folâtres avec la gravité souriante du plus correct man of fashion. Il fallait à cette vie élégante son historien, son moraliste, et M. Ludovic Halévy aurait en ce sens le droit de s’écrier comme Rousseau : « J’ai vu les mœurs de mon temps et j’ai écrit ce livre. » Tout au rebours des rédacteurs ordinaires de ces Chansons de gestes, l’homme à qui nous avons affaire cette fois se trouve être un écrivain des plus aimables et riche de nombreux trésors d’observations et de documens amassés depuis des années sur le sujet.

Neveu de l’auteur de la Juive, M. Ludovic Halévy se fit de très bonne heure un devoir d’accompagner son oncle dans les coulisses de l’Opéra,