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savans qui ne pourront vraiment servir qu’à ceux qui voudront le refaire. Il n’est pas le livre que nous attendions sur les mystères. En faut-il dire la vraie raison ? Elle peut tenir en trois mots : c’est que nous ne savons plus composer.

Oui ! nous avions autrefois une manière de composer vraiment philosophique en même temps que vraiment littéraire ; j’ajouterai : vraiment française. Nous partions de ce principe que, si l’on écrit, c’est pour épargner une peine au lecteur, et nous en tirions cette conséquence que le premier devoir de l’écrivain est de dissimuler ce qu’il a dépensé de temps, de travail et d’efforts à l’éclaircissement d’une matière difficile. On ne mettait donc pas le public dans la confidence des manuscrits que l’on avait déchiffrés, des in-folio qu’on avait compulsés, des notes qu’on avait lentement amassées, car en quoi cet étalage aurait-il pu l’intéresser ? La peine que l’on a prise, que fait-elle à l’affaire ? Et le mal que l’on s’est donné, quel compte prétend-on que « l’ami lecteur » nous en tienne, si d’ailleurs nous ne l’amusons, ni ne l’instruisons, ni ne l’obligeons du moins à penser ? Aussi se gardait-on bien de lui faire péniblement refaire le chemin que l’on avait fait. Mais plutôt on lui cachait soigneusement ce que l’on avait essayé d’opinions contradictoires avant que de prendre enfin parti. C’est qu’on s’attachait surtout à ce qu’il y a toujours, dans un sujet quelconque, pourvu qu’on sache l’y démêler, d’essentiel, c’est-à-dire de durable, de permanent, et, — si tant est que le mot soit humain, — d’éternel. Et l’on réussissait à contenter quelqu’un, tandis que je crains que le livre de M. Petit de Julleville ne contente personne. Car les érudits, qui réclamaient encore, en 1878, tant de documens prétendus indispensables, n’admettront pas sans doute que, depuis deux ans, tous ces documens soient sortis de l’ombre, et lui diront, selon l’usage, que le temps d’écrire son livre n’était pas encore échu.


Ce bienheureux moment n’est pas encor tenu.
Il viendra ! mais le temps ne m’en est pas connu.


Pour nous, qui ne nous piquons nullement d’être érudit, nous lui dirons, qu’en dépit des érudits, on pouvait traiter le sujet, mais à la condition de le traiter d’autre sorte et de le prendre par son côté littéraire et philosophique.

Il fallait donc, après avoir brièvement marqué les origines du genre et noté les phases de son accroissement, choisir parmi les modèles quelqu’un des plus considérables et l’étudier à fond. Vous demanderez à quel signe on eût pu reconnaître parmi tant de mystères le plus considérable. Rien de plus simple. Ce sera celui qui d’entre tous les sujets formant ensemble le « cycle dramatique » du théâtre du moyen âge, aura développé, dans les plus vastes proportions, le sujet le plus général et le plus important. Le Mystère de la Passion répond à ce signalement.