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divers sentimens de l’homme qui donnent naissance au luxe. Il en trouve trois qu’il considère comme naturels et universels : la vanité, la sensualité et l’instinct de l’ornement.

La vanité d’abord. On veut se distinguer et paraître plus que les autres. Comme la foule admire la richesse et la puissance, on est heureux quand on passe pour puissant et riche. Voici un collier de perles fines : une femme le paie 50,000 francs. Est-ce pour posséder une chose belle ? ou espère-t-elle en être embellie elle-même ? Non, car des perles imitées sont plus régulières et ont autant d’éclat. Mais le collier, qui a coûté très cher, sera l’emblème et l’enseigne de son opulence. En la voyant, on dira : Elle est riche, — et ses rivales, qui le sont moins qu’elle, seront jalouses, ce qui ajoutera du piment au ragoût de la vanité. On cherche sa satisfaction, et pour ainsi dire, une existence factice dans l’opinion d’autrui. C’est un sentiment général et d’une étrange puissance. Quand l’opinion ne s’incline que devant la vertu, l’amour-propre ou la vanité devient un puissant stimulant pour le bien. Quand, au contraire, l’opinion adore la richesse, l’amour-propre pousse au luxe et à la corruption.

La vanité et le goût de la parure qu’elle engendre sont très marqués chez le sauvage qui se tatoue avant de se vêtir, et ils se raffinent chez l’homme civilisé, dans ce que l’on appelle le monde. Mais la haute culture et l’accroissement de l’empire de la raison les tempèrent et leur donnent une direction moins mauvaise. Jadis les hommes comme les femmes portaient des étoffes chatoyantes, des galons, des dentelles, des bijoux, et il en est encore de même en Chine et chez les peuples sauvages. Mais, depuis le commencement de ce siècle, les nations civilisées ont emprunté à l’Angleterre l’habit noir du quaker. Pour un homme, porter des diamans, même comme boutons de chemise, est du plus mauvais goût. La simplicité, le soin et l’extrême propreté constituent toute l’élégance masculine. Les femmes, au contraire, aiment encore, comme aux époques préhistoriques ou dans les îles du Pacifique, à se percer les oreilles pour y introduire certaines pierres, ou à s’entourer le cou de verroteries ou de petits morceaux de métal. Elles cherchent chaque année quelque nouvelle façon de rendre leurs vêtements plus incommodes et plus coûteux. Quel moyen de les guérir de cette infirmité, legs héréditaire de la barbarie primitive ? Stuart Mill nous l’a dit dans son livre sur la condition de la femme. Donnez-lui l’instruction nécessaire pour qu’elle s’occupe des choses de l’esprit, et, comme l’homme moderne, elle cessera de se complaire dans la recherche des colifichets et des gris-gris. Chimère ! dira-t-on, la vanité féminine est un mal incurable. Je n’en crois rien. Le christianisme a opéré ce miracle chez les quakers et dans les