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moyen de retirer l’âme humaine, au moins par un côté, des futilités où se complaît la vanité pour la mettre sur le chemin des choses éternelles. N’oublions pas non plus que, depuis les vases grecs les plus anciens jusqu’aux fresques des catacombes du IIIe et du IVe siècles, l’antiquité nous représente ses personnages vêtus de la même façon. L’oisiveté et l’élégance engendrent la frivolité, et la frivolité, les caprices de la mode. Quand on aura mis plus de justice dans les lois, plus d’élévation dans les âmes et plus de bon sens dans les cervelles, nous en reviendrons à faire comme les anciens.


II

Après avoir analysé les sentimens du cœur humain qui donnent naissance au luxe, M. Baudrillart examine comment il faut le juger. Il se place entre l’école rigoriste, qui prêche le retranchement des besoins, et l’école du relâchement, qui considère le luxe comme chose agréable à l’individu et nécessaire à l’état, en même temps qu’indispensable au progrès de la civilisation. Il distingue entre le luxe honnête, permis, louable même, et le luxe abusif et immoral. Pour moi, je n’admets pas cette distinction, et je crois que l’école rigoriste a eu entièrement raison. Les condamnations prononcées contre le luxe, avec tant d’unanimité et d’éloquence, par les sages et les philosophes de l’antiquité, aussi bien que par les pères de l’église et par les orateurs de la chaire chrétienne, sont complètement justifiées par les recherches de la science moderne. Ils ignoraient l’économie politique, mais ils étaient inspirés par, l’instinct du bien et de la justice ou, après l’Évangile, par le sentiment de la charité et de la fraternité humaines. Tout ce qui est vraiment luxe ne peut pas ne pas être immoral, injuste, inhumain. Écoutez comment en parle un des pères de l’économie politique : « Les personnes, dit J.-B. Say, qui par de grands talens ou un grand pouvoir cherchent à répandre le goût du luxe conspirent contre le bonheur des nations. »

Le luxe consiste, avons-nous dit, à consommer pour un besoin factice un objet qui a coûté beaucoup de travail. Lorsque le travail est si nécessaire pour procurer aux hommes de quoi satisfaire leurs besoins, quand tant d’êtres humains vivent encore dans un dénûment presque absolu, peut-il être légitime et bon d’employer une grande partie des forces que les capitaux et les ouvriers mettent à notre disposition. pour produire un superflu dont souvent même il vaudrait mieux se passer ? Pour mieux marquer en quoi je me hasarde à me séparer ici de l’opinion de M. Baudrillart, Reprendrai un exemple qu’il me fournit lui-même, les diamans.