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principe que la rémunération de chacun doit être en proportion du travail utile effectué ? Question de droit et de justice. Ce troisième aspect du problème n’a guère été approfondi, parce qu’on n’avait pas vu clairement que les principes juridiques doivent s’appliquer à la répartition économique des produits. N’oublions pas cependant que le christianisme, ayant fait de la charité un devoir strict, a toujours condamné le luxe, parce qu’il consacre à des dépenses superflues, et par cela même immorales, la part qui devrait, d’après lui, revenir aux pauvres.

Considérons d’abord le luxe au point de vue de l’individu. Lui est-il utile ou nuisible ? Je suppose ici qu’il n’ait pas à s’inquiéter de ses semblables ni à se demander ce qu’exige de lui la charité ou la justice. Pour résoudre la question, il faut voir en quoi consiste le bien de l’homme et quelle est sa fin ou sa destinée. Le but à poursuivre est évidemment le développement normal de toutes ses facultés et le bonheur qui doit en résulter. Ici les pessimistes m’arrêteront peut-être pour me dire que plus nos facultés sont développées, plus elles nous deviennent des sources de souffrances, que « l’homme qui pense est un animal dépravé, » que la brute est plus heureuse que le prétendu roi de la création, que la plante l’est plus que la brute et le minéral plus que la plante, et qu’en somme le comble de la félicité serait le non-être, le nirvana bouddhique. Je ne m’arrêterai pas à discuter la doctrine du pessimisme. Quoi que puissent dire Schopenhauer et Hartmann, il semble difficile de croire que cette immense évolution qui part de la matière diffuse et amorphe, à l’origine, pour aboutir, après une série infinie de transformations, à l’intelligence humaine et à la personnalité consciente, soit un progrès ininterrompu dans le malheur et un acheminement vers la désespérance finale. Tout être, dès que la vie apparaît, aspire à se conserver, à se perpétuer, à grandir, à s’étendre. C’est la loi universelle de la vie, et l’idée que son accomplissement doit être accompagné de satisfaction s’impose, semble-t-il. Nous devons donc tendre à la perfection, et même, s’il était vrai que notre félicité n’augmente pas à mesure qu’on s’en approche, ne pourrait-on pas y voir la preuve que notre destinée ne s’accomplit pas tout entière ici-bas ?

La perfection pour l’homme consiste dans le plein développement de toutes ses forces, forces physiques et forces intellectuelles, et de tous ses sentimens, sentimens d’affection et dans la famille et dans l’humanité, sentiment du beau dans la nature et dans l’art.

Ici se présentent deux types différens de perfection humaine : le type de la perfection conçu par le christianisme et le type conçu