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par l’antiquité. La perfection chrétienne me paraît très supérieure en ce qu’elle impose à l’égard de nos semblables, de nos frères, comme elle dit admirablement, des devoirs de justice et de charité que les philosophes anciens n’ont entrevus que d’une façon très confuse et très mêlée. Mais elle s’est trop peu inquiétée de l’individu parce que, conçue dans l’idée que le monde allait bientôt finir, elle n’avait en vue que le royaume des cieux, qui était proche. De là ce caractère ascétique de la conception de la vie qu’on a tant reproché au christianisme et qui s’explique tout naturellement par ses idées eschatologiques. Si ce monde doit finir bientôt, comme l’ont cru les premiers chrétiens, et si le Seigneur doit venir en son « règne avant qu’une génération ne passa, » ainsi que l’annonçait l’Évangile, c’est-à-dire la bonne nouvelle de la palingénésie imminente, l’homme prévoyant ne doit pas faire autre chose que se préparer à ce prochain avènement. Ce n’est donc pas au christianisme ascétique qu’il faut demander la règle de l’homme isolé. Pris trop à la lettre, il nous conduirait à la vie de l’anachorète ou même du stylite.

La Grèce nous offre ici l’exemple à suivre. Le jeune Grec cultive à la fois, par l’exercice, les muscles de son corps et les facultés de sa raison. Il passe sa matinée au gymnase et son après-midi à converser, en plein air, avec les savans et les sages. Il atteint ainsi à cet idéal : Mens sana in corpore sano. Dans un excellent livre sur l’éducation, Herbert Spencer dit très justement que la chose essentielle est de « se constituer une bonne santé ; car que servent le rang, les honneurs et la richesse à un malade ou à un valétudinaire ? » La vie grecque, que les jeunes Anglais imitent dans leurs universités, sera donc notre idéal. Il n’y manque que le travail manuel, dont l’antiquité se déchargeait sur l’esclave. Grande faute, disons mieux, grand crime, car c’était la violation d’une loi naturelle, et elle en a été punie par une irrémédiable décadence. Le travail est imposé à tout homme par la nature même. Nous avons des besoins et en même temps une intelligence servie par des organes pour nous procurer de quoi satisfaire ces besoins. Tous les êtres organisés vivent ainsi par un effort personnel. Si nous rejetons sur les autres tout le travail nécessaire pour Trous faire subsister, nous en sommes punis par l’anémie, par les dyspepsies, les vapeurs, le spleen, en un mot, par tous tes maux et les dégoûts de l’oisif ennuyé et blasé. L’homme qui vendra obéir aux lois de la nature, afin de conserver longtemps ses forces et sa santé, exécutera et s’imposera quelque exercice corporel. Les anciens n’y manquaient pas, ils consacraient une bonne partie du jour à assouplir et à, fortifier leurs muscles dans les bains ou au champ de Mars. Pour l’homme moderne, qui ne doit pas être doublé d’un esclave, les exercices de