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moins bruyans, les modérés accueillaient avec plus de surprise que d’enthousiasme, surtout dans les campagnes, les incessans décrets signés par MM. Crémieux et Glais-Bizoin, noms parfaitement inconnus pour les habitans des vallées de la Savoie. Lorsque celui de M. Gambetta vint s’ajouter aux leurs, la méfiance et un peu d’effroi succédèrent à l’inquiétude. Qu’allait-on devenir et vers quelles extrémités ne risquait-on pas d’être entraîné par des chefs que l’on n’avait point choisis ? Plus d’un républicain de la veille, plus d’un excellent patriote qui avait pris les armes afin de défendre ses foyers contre l’ennemi du dehors, et qui était résolu à ne les point déposer tant que le pays serait en danger, se demandaient à quel titre des personnages auxquels la France n’avait donné aucun mandat avaient osé s’arroger la lâche de disposer eux seuls de toutes ses forces. L’emploi qu’ils avaient fait de ce monstrueux pouvoir avait-il donc été si judicieux que la nation fût tenue de se dépouiller à leur profit du soin de décider elle-même de ses propres destinées, et ne devenait-il pas, chaque jour, plus évident que ceux qui s’étaient portés pour être ses sauveurs étaient en tram de la mener droit à sa perte ? C’est pourquoi, tout en reculant devant la crainte de jeter la division entre les défenseurs du sol national, s’ils refusaient l’obéissance à des mesures politiques qu’ils n’approuvaient pas, et parfaitement résolus à remplir scrupuleusement pour leur compte les obligations militaires auxquelles tant de zélés républicains se dérobaient par la recherche des fonctions publiques salariées, beaucoup d’excellens citoyens crurent en Savoie que le moment était venu, vers la fin de la terrible année 1870, de revendiquer énergiquement ce qu’ils estimaient être le droit imprescriptible d’un peuple rendu trop complaisant par une longue soumission au pouvoir absolu. Ainsi pensait Lanfrey, qui se sentait le droit de parler en leur nom, car après avoir vainement tenté de pénétrer dans Paris déjà investi par les armées prussiennes, il s’était enrôlé, malgré sa santé plus qu’ébranlée et à l’insu de sa mère, parmi les volontaires mobilisés de son pays natal. Jusque vers le mois de décembre, il s’était tu, peut-être parce qu’il avait trouvé équitable de faire un long crédit aux stratégistes de bonne volonté qui, de Tours et de Bordeaux, dirigeaient les opérations de nos corps d’armées improvisés, peut-être aussi parce que le Patriote savoisien, naguère si dévoué à sa candidature électorale, étant passé avec armes et bagages au service du comité de délégation, il ne pouvait plus y écrire. Une autre feuille locale, la Gazette du peuple, reçut donc la confidence de ses anxiétés patriotiques, dont le retentissement au milieu du prudent silence gardé par la plupart des organes du parti républicain, était destiné à ébranler d’autres échos que ceux des montagnes de la Savoie.