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Lanfrey n’a pas été aussi sévère que Mme Sand dans son Journal d’un voyageur, lorsqu’elle écrivait à la même époque : « Malheur ! tout est souillé, tout tombe en dissolution. Le mépris de l’opinion semble érigé en système. » Il ne s’est pas écrié comme elle : « Alea jacta est ! La dictature de Bordeaux rompt avec celle de Paris. Il ne lui manquait plus, après avoir livré par ses fautes la France aux Prussiens, que d’y provoquer la guerre civile par une révolte ouverte contre le gouvernement dont il est le délégué. Peuple, tu te souviendras peut-être cette fois de ce qu’il faut attendre des pouvoirs irresponsables. Tu en as sanctionné un qui t’a jeté dans cet abîme, tu en as subi un autre que tu n’avais pas sanctionné du tout, et qui t’y plonge plus avant, grâce au souverain mépris de tes droits ; Deux malades, un somnambule et un épileptique, viennent de consommer ta perte. Relève-toi si tu peux[1] ; » mais il a porté sur la politique de la délégation de Tours des jugemens dont la rigueur, exprimée, en termes moins amers, est restée par cela même plus profondément gravée dans la mémoire des contemporains.

Dans un premier article en date du 7 décembre, Lanfrey n’en est encore qu’à signaler en termes éloquens la résignation qu’a mise la France à subir l’exercice arbitraire d’un pouvoir qui n’a reçu d’elle aucune consécration légale.


… Il serait sage de prévoir que cette résignation aura une fin. Elle cessera le jour où l’on s’apercevra que, loin de servir la défense nationale et la cause républicaine, elle les compromet l’une et l’autre. Il est certain, en effet, que, si au lieu de cette délégation incapable que personne ne contrôle, qui entasse décrets sur décrets et contre-ordres sur contre-ordres, le pays voyait à Tours un gouvernement placé sous son influence directe et permanente, un pouvoir émané de la volonté nationale, il aurait à la fois plus d’élan, d’énergie et de confiance en lui-même. Tous les dissentimens tomberaient devant une telle autorité… O France ! nos vies t’appartiennent, et nous sommes prêts à donner notre sang, mais toi seule as le droit de marquer la mesure de nos sacrifices. Toi seule as le droit d’en diriger l’emploi, comme d’en recueillir le fruit. Ce n’est pas nous qui nous ferons un argument de tes disgrâces pour nous dispenser de te reconnaître dans tes débris mutilés. Pour nous, tu seras encore tout entière dans le dernier coin de terre qu’ombrageront les plis de ton drapeau. Parle donc, il en est temps, et honte éternelle sur ceux qui ne verraient dans tes malheurs qu’une occasion d’usurper un pouvoir qui n’appartient qu’à toi !

  1. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1871, Journal d’un voyageur.