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Un peu plus tard la note s’accentue davantage :


… Il est inouï, disions-nous il y a quinze jours, il est sans exemple dans notre siècle qu’un peuple placé dans les circonstances critiques où nous nous trouvons n’ait pas été appelé au contrôle et au partage du pouvoir en la personne de ses représentans… Il s’agit de rendre au pays la direction qui lui appartient dans ses propres affaires, de mettre ses élus à même de rectifier des opérations mal conçues et mal conduites qui le mènent à la ruine ; il s’agit, en un seul mot, de lui permettre de se sauver lui-même… On ne pourrait rappeler sans une cruelle ironie ce titre d’organisateur de la victoire qu’un membre de la délégation de Tours s’est fait décerner un peu prématurément par l’enthousiasme de quelques sous-préfets. Que faut-il de plus ? Devons-nous attendre que tout soit perdu pour reconnaître qu’on s’est trompé en confiant la direction de la guerre à un avocat ? L’expérience n’est-elle pas assez complète ? Sa dictature a-t-elle rencontré un seul obstacle ? Fut-il jamais un peuple plus docile, une opposition plus accommodante ? Il est venu ; il a montré son ballon, et tout a été dit… On a jeté partout le désordre et la désorganisation, tout en se gardant bien de rien changer à la vieille routine administrative et judiciaire. On a détruit la confiance du soldat par des destitutions sans motifs, bientôt suivies de réhabilitations sans effets. On a fait des chefs d’armée avec des journalistes de troisième ordre. On a livré nos emprunts aux aventuriers de la finance. On a confié des fonctions de la plus haute importance à des bohèmes politiques qui parlent du matin au soir de faire des pactes avec la mort, et qui n’ont fait de pacte qu’avec leurs appointemens… Il est temps d’en finir avec les déclamations, de mettre un terme à ce régime arbitraire d’impéritie, de dissimulation et d’impuissance. — Il est temps que la nation soit représentée par les hommes qu’elle aura jugés les plus dignes de la conduire… Au reste, quel que soit l’accueil fait à des vœux si légitimes, il n’est pas difficile de prévoir le jour où ils s’imposeront comme une nécessité. La France a subi bien des dictatures, mais il en est une qu’elle n’a jamais supportée longtemps : c’est la dictature de l’incapacité.


La population parisienne et les membres du gouvernement, bloqués avec elle dans l’enceinte de Paris, n’avaient point eu connaissance de cette véhémente protestation, mais elle avait été remarquée et commentée par les feuilles étrangères. Quelques journaux de Bordeaux l’avaient reproduite d’après la Gazette du peuple, et l’impression produite en province fut aussitôt considérable. Comme premier résultat, parfaitement accepté d’avance par Lanfrey, elle excita les plus furieuses colères du parti exalté, qui en