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Pendant le mois de mars, au plus fort de l’insurrection de la commune, Lanfrey avait eu l’imprudence de se rendre presque tous les jours à Paris, d’où, un beau matin, il lui devint impossible de retourner à Versailles. Au début, il avait eu l’espoir que cette capitale, « où rien ne dure, pas même la démence, se lasserait vite de tant d’insanités. » Il était même frappé des symptômes de lassitude qui commençaient à s’y manifester. Cependant il lui fallut y rester prisonnier près de six semaines avant de réussir à s’en évader.


… On entend le canon du matin au soir, sans discerner aucun progrès ni d’un côté ni de l’autre… Les boulets de Versailles mettent dans leurs attaques une mollesse et un décousu inexplicables chez un aussi grand général que Thiers. C’est cette indécision qui, au début, a assuré le triomphe de cent mille coquins qui nous tiennent le couteau sur la gorge, et c’est elle aujourd’hui qui fait toute leur assurance, (avril 1871.)


… Si je parviens à m’échapper, je vous écrirai un mot. De tout ce qui se passe dans ce pays de fous furieux, je ne vous dirai rien. J’en deviens comme imbécile, et je suis aussi étranger à ces choses-là que si j’assistais à une révolution chinoise. (27 avril 1871.)


Sorti non sans péril de Paris, il n’est pas beaucoup plus satisfait du spectacle qu’il retrouve à Versailles.


… Je commence à croire que je ne ferai guère plus de politique ni en Savoie ni ailleurs. Je suis profondément dégoûté de ce pays et de son éternel carnaval. Deux choses y réussissent : au pouvoir, la servilité ; dans l’opposition, le charlatanisme. Pour moi, qui n’ai de goût ni pour l’un ni pour l’autre, il n’y a qu’un parti à prendre, celui de la retraite et du silence.


Sur les instances d’un ami qui lui demandait ce qu’on pouvait espérer ou craindre des destinées prochaines de la France, Lanfrey ne tarda pas toutefois à rompre ce silence. Il s’agissait alors des élections à faire pour combler les vides qui s’étaient produits dans les rangs de l’assemblée nationale. La lettre écrite en juin 1871 à M. Eugène Yung et publiée par le Journal de Lyon, contient sur les circonstances du moment, des appréciations plus développées, mais pas très différentes de celles qu’on vient de lire, c’est-à-dire sagaces et judicieuses. Le ton seul est changé. Sans dissimuler absolument ce qu’il y avait de sombre dans ses pressentimens et de sévère