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et d’observer un jeûne rigoureux, dans l’intention de faire croire que c’étaient eux qui venaient d’accoucher. On raconte pareillement que, chez les Caraïbes, les maris imitent à ravir les contorsions et les plaintes d’une accouchée, et que les commères de l’endroit accourent à l’envi pour les féliciter en cérémonie sur leur heureuse délivrance. On voit encore, paraît-il, quelque chose de semblable dans certaines vallées de la Biscaye. Les robustes montagnards qui les habitent se plaisent à faire ce qu’ils appellent la couvade, et tandis que leur épouse vaque aux soins de la cuisine, ils prennent sa place auprès du nouveau-né et reçoivent avec une fatuité mêlée de superbe les complimens des voisins et des voisines[1]. Il faut que la gloire attachée à la pénible besogne d’enfanter soit bien enviable, puisque chez les Abipones, les Caraïbes et les Biscayens, l’homme la dispute à la femme. À cette gloire ajoutez celle de nourrir le petit être, de le gorger de son sang le plus pur, de le soigner, de le nettoyer sans cesse, de désarmer ses impatiences par une patience d’ange, et plus tard de l’élever, de lui apprendre la vie, le monde, de lui donner une âme, des entrailles et un cœur. La femme qui fait tout cela et qui le fait bien mérite qu’on lui tresse des couronnes, et foi de Caraïbe, elle honore plus son sexe devant Dieu et devant les hommes que si elle concourait à l’élection d’un conseiller général, d’un député, voire même d’un sénateur.

Mais, répondra-t-on, ce n’est point par une puérile vanité que nous réclamons le droit de suffrage et ceux qui en dérivent, c’est à titre de garantie. Quels gages peuvent nous offrir des lois délibérées et votées exclusivement par les hommes ? — Est-il donc vrai que les femmes aient perdu leur industrie, leur adresse, qu’elles aient désappris l’art de faire obéir leurs maîtres ? Ne sont-ils pas de leur plein gré ou malgré eux leurs délégués naturels ? Ne savent-elles plus que leurs armes les plus puissantes sont ces droits qui ne s’écrivent pas dans une charte et qui survivent à toutes les constitutions ? Oublient-elles que l’apparence de l’autorité est peu de chose au prix de l’influence, et que dans ce monde la plus irrésistible des influences est la femme ? Cherchons la femme, se disent les juges, et il est certain que, dans le bien comme dans le mal, quiconque la cherche la trouve ; mais il ne faut pas qu’elle se pique de devenir un homme. « Plus elles voudront nous ressembler, disait Rousseau, moins elles nous gouverneront, et c’est alors que nous serons vraiment les maîtres. »

Puisque les Praxagora du temps présent ont le goût des fortes lectures, qu’elles lisent les historiens latins ; elles y verront le rôle parfois excessif que les femmes ont joué dans la Rome antique et leur

  1. Les Origines de la famille, questions sur les antécédens des sociétés patriarcales, par M. A. Giraud-Teulon, 1874.