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grandeur croissante qui épouvantait Caton, et elles s’apercevront bien vite qu’il n’est pas possible d’écrire l’histoire des Romains sans écrire du même coup celle des Romaines. Qu’elles consultent Aristote, il leur apprendra que Sparte, la martiale et austère Sparte, était une véritable gynécocratie : « Que ce soient les femmes qui gouvernent ou que les gouvernans soient gouvernés par elles, ajoutait-il, je n’en vois pas la différence. » Qu’elles causent avec le bon Plutarque, il leur dira « que les Lacédémoniens eurent dans tous les temps une extrême déférence pour leurs épouses et qu’ils leur permettaient de s’ingérer dans les affaires publiques bien plus qu’ils n’osaient eux-mêmes s’ingérer dans leurs affaires privées. »

Avant de proposer ses réformes à l’assemblée du peuple, Agis dut au préalable les faire agréer par sa femme, par sa mère, par son aïeule. Maint autre réformateur a procédé comme lui et suivi sa méthode, sachant bien que le sexe qui propose n’est pas celui qui dispose. Aujourd’hui la majorité des hommes réfléchis et exempts de préjugés dogmatiques considère le divorce comme un mal nécessaire qui en prévient de pires, et souhaite qu’on le rétablisse, pourvu qu’on le rende difficile. Si les chambres ne votent pas le rétablissement du divorce, la faute en sera aux femmes et non aux hommes : ce sont elles qui ne l’auront pas voulu. Ce qu’on appelle l’opinion publique n’est fort souvent que leur opinion particulière. Les révolutions ne sont pas toujours leur ouvrage et même les contrarient quelquefois ; mais tôt ou tard les révolutionnaires doivent entrer en accommodement avec elles, ne fût-ce que par une cote mal taillée. Elles forment une haute cour de cassation, qui révise, qui confirme ou qui annule les décisions de l’histoire. La république sera solidement fondée quand elles se résoudront à l’épouser, et dans les pays qui nous avoisinent la royauté sera bien malade le jour où elles cesseront de croire que les rois et les reines, les impératrices et les empereurs soient nécessaires à leur sécurité, à leur bonheur, à la joie de leurs yeux ou à l’avancement de leurs fils.

G. Valbert.